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II.
Statut herméneutique de la caractérologie
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Introduction
Nous avons choisi, pour ouvrir aux questions d’herméneutique
liées à la perspective caractérologique, de nous
inspirer des analyses et de la problématologie
déployées par Ricoeur dans le chapitre qu’il consacre
à la caractérologie franco-hollandaise dans son ouvrage de
1950, Le Volontaire et l’Involontaire. Ce chapitre constitue,
nous devons le dire, un véritable travail d’objectionà
la caractérologie. Si sa négativité est
indéniable-, il
forme cependant, en incluant cette raison, un double
intérêt : il est possible d’en isoler une série
de problèmes de lecture et
d’interprétation de la caractérologie ; le climat
de ce texte est d’autre part l’indice d’une réception de la
caractérologie que nous pourrions interroger au titre d’un moment
décisif de son histoire.
Si, comme nous le
verrons, l’axe central de la critique de Ricoeur indique le problème
du déterminisme « appliqué »
à la caractérologie, le plan qui soutient cet axe, qui
est celui de l’objectivité, commande de même les
problèmes
du « statut phénoménologique
de l’autre » en tant qu’il est un produit objectif dans
le texte caractérologique, plus généralement celui
du « statut herméneutique global » de
la caractérologie : le type d’objectivité de la
caractérologie pourrait amener à la considérer dans
son ensemble comme une explication de la vie psychologique.
Tout d’abord, nous
nous proposons de reprendre le problème du
« déterminisme caractérologique »
tel qu’il est déployé par Ricoeur. Ce problème qui,
comme nous le verrons, déborde largement le cadre de la
caractérologie, est en quelque sorte l’antichambre qui conduit
à son herméneutique proprement dite et aux questions
qu’elle soulève.
La caractérologie et le
déterminisme objectif (2.1)
L’objet de la réflexion critique de Ricoeur – sa
matière comme sa visée – nous sont données
dès les premières lignes : « notre
intention est de montrer par un examen soigneux des méthodes
qu’une science objective des caractères pose le problème
de l’homme en des termes qu’il est impossible de raccorder
directement le caractère ainsi élaboré
scientifiquement à la liberté du sujet ».
Caractère contra liberté, caractère ou
bien liberté : le
« problème » se donnerait, ainsi
schématisé, dans l’incompossibilité de deux notions
contradictoires. Cela tiendrait essentiellement à des raisons de
méthode liées à la construction de l’objet caractère
:
« Une
fois livré aux méthodes objectives, le caractère
apparaît comme une totalité concrète offerte
à une synthèse illimitée »,
-- d’où,
poursuit Ricoeur,
« Il est absurde
d’essayer d’introduire la liberté ; le déterminisme
de l’objet est sans limite et sans contraire ».
Nous soulignons cet « absurde » qui
paraît condamner tout appel : si la caractérologie
est vraiment une « psychologie scientifique »,
elle devient « tributaire des postulats d’une physique de
l’esprit » et autorise une « explication causale
et déterministe ». Et alors adieu la liberté.
Nous allons cependant examiner de plus près ce qui conduit ici
Ricoeur à l’impossibilité de penser ensemble liberté
et caractère. Ce texte introductif de Ricoeur fonde cette
impossibilité sur un noyau d’équivalences et
d’apparentements qui d’après nous est le problème
derrière le problème.
L’apparentement de
la « méthode de la caractérologie »
à celle de « la psychologie
scientifique », doublée de l’équivalence
foncière entre cette « psychologie
scientifique » et le « déterminisme »
mérite qu’on s’y attarde. Si toute
« psychologie scientifique » est
« déterministe » et si la
caractérologie est une psychologie
« scientifique », alors la
caractérologie est déterministe. Il nous paraît
évident qu’on ne peut demander ici une compréhension
exhaustive d’une proposition telle que « toute
psychologie est déterministe » : on ne saurait
examiner le « degré de
déterminisme » de chaque ramification de la
psychologie ! Si l’économie du texte semble nous y inviter,
que ce mot de déterminisme est le terme dernier du
raisonnement et se passe de toute clarification supplémentaire,
il doit en quelque sorte valoir argument en caractérisant
une position - supposée bien connue du lecteur - de la
méthode scientifique, dont la caractérologie serait enfin
tributaire. Si la question du déterminisme ne saurait faire
l’objet ici d’une analyse philologique du concept,
nous nous attacherons seulement à dégager quelques
éléments susceptibles d’éclairer le sens de cet
argument dans le texte de Ricoeur. Nous supposerons : si le sens du
mot de déterminisme y va pour ainsi dire de soi, il doit
être assez « commun » à la
philosophie ; nous irons en chercher quelque supplément de
définition caractéristique dans la deuxième
préface de la Critique de la Raison Pure de Kant.
Le déterminisme est une
hypothèse (2.1.1)
Comment s’y donne le
« déterminisme » ? Il est cette
« nécessité physique », ce
« mécanisme naturel dans la détermination des
choses, qui devrait s’étendre à toutes les choses en
général considérées comme causes
efficientes », résultat du principe de
causalité, qui ferait que « même la
volonté peut être pensée comme nécessairement
soumise aux lois de la nature », et ainsi « sous
ce rapport, comme n’étant pas libre ».
Le raisonnement de
Kant est simple : si la physique rend compte de la nature comme
soumise à des lois selon le principe de causalité, comme
semble l’indiquer la physique de Newton, alors, l’homme lui-même, partie
de la nature, est soumissible à l’explication causale. Mais on
peut se demander : qu’en savons-nous, si cette extension, cette
« analogie » a du sens ?
Les
résultats obtenus par Newton concernent (entre autres corps) les
corps célestes ; les lois de la gravitation qui permettent
de prédire le comportement de ces objets sont confirmées
par l’expérience de ces objets. C’est cette
vérification par l’expérimentation qui seule permet
d’affirmer en retour que le « principe de
causalité » régit et détermine
ces corps selon des lois. Mais on doit observer que le champ de validité
de ces lois concerne à chaque fois l’ordre ou la classe
d’objets choisis au départ, pour lesquels la
vérification empirique peut faire son travail ; cette
vérification ne fournit per se aucune validité
à un autre ordre d’objets pour lesquels il n’y a pas eu de
vérification ! Il faut donc remarquer avec soin que
l’extension opérée par Kant relève pour l’instant
d’une simple hypothèse : rien n’indique une « validité » du
déterminisme à l’échelle
« psychologique ». Kant d’ailleurs dit bien :
« ce mécanisme naturel dans la détermination
des choses (…) devrait s’étendre à toutes les
choses en général ». Le caractère prétendument absolu
du déterminisme qui s’étendrait « à toutes
les choses en général » - dépend
donc d’une hypothèse, qu’on traduirait, en termes objectifs :
la classe d’objets qui vérifie le déterminisme newtonien vaut-elle
pour la volonté humaine et la
« liberté » [6]?
Nous pourrions nous
borner à marquer qu’une hypothèse ne saurait en
elle-même tenir lieu d’argument ; ce serait supposer
(comme nous l’avons fait) que le déterminisme de Ricoeur n’est
rien de plus en son principe qu’une variante du déterminisme
mécaniste de Kant. Il se pourrait enfin que l’hypothèse
d’un tel déterminisme ait conquis depuis Kant un
caractère opératoire dans l’histoire de la
psychologie (l’hypothèse de Kant serait alors programmatique
d’une évolution de l’anthropologie ou de la psychologie). Il y a
plusieurs moyens de s’assurer en fait du contraire. Avant de
revenir au sujet de la caractérologie et à la
compréhension du degré de détermination dont elle
relève, nous suivrons donc encore pour un court moment le
détourproposé
par Ricoeur.
Impossibilité de
principe d’un déterminisme absolument objectivable (2.1.3)
Revenons à
l’hypothèse de Kant. Nous la traduisions dans la question :
la classe d’objets qui vérifie le déterminisme newtonien vaut-elle
pour la volonté humaine ?
Quels pourraient
être les objets du déterminisme - on pourrait dire ses déterminants
-, s’il passait de la physique des corps à une physique de
l’esprit ? S’agit-il - s’agirait-il - de particules,
d’atomes, de molécules ?
Il est assez
évident que la psychologie n’opère pas sur les corps de
type newtonien ou plus généralement de type physique. Sur
quels objets alors ? Dans son ouvrage de 1993, P.
Engel remarque :
« La
psychologie n’a pas réussi à fixer sa
définition : science de l’âme ? science du sens
intime ? science du comportement ? »
Le champ actuel de
la psychologie offre en fait une pluralité d’objets pour son
investigation : « cognition »,
« comportement »,
« personnalité » etc. Ces objets
ressortissent de niveaux indépendants de
compréhension (hypothèses protocolaires, échelles
d’observation des phénomènes, d’interprétation des
résultats, etc.) Par le seul effet de cette
« dispersion », la psychologie n’a pu effectivement
traduire l’hypothèse déterministe : dans la
détermination de son objet. Le « déterminisme
psychologique » ne s’est pas traduit, deux siècles
après la Critique de Kant, dans
l’hypothèse opératoire que nous cherchions.
Mais ceci n’est
encore qu’une remarque de fait. Plus loin, et quelque valeur
qu’on donne aux faits devant une réflexion de droit, on peut (ou
on doit) poursuivre : même dans l’hypothèse où le
« déterminisme » parvenait à localiser
– et déterminer - un objet psychologique comparable
à un objet de la physique, il nous faut remarquer qu’à ce
stade encore, cet objet serait encore dépourvu de toute
signification. Un tel « atome signifiant » de la
détermination psychologique, s’il venait à être
découvert, devrait encore chercher une signification dans
le champ de l’interprétation psychologique.
Mais, sans
même une détermination précise de (ou des) objet(s)
du déterminisme, nous pensons pouvoir mener une analyse formelle
qui pousse d’après nous à l’absurde le principe de
l’argument déterministe selon ce caractère absolu qu’on
lui a vu. Nous proposons d’anticiper en quelque sorte sur le terme
ou le « résultat » d’un tel
programme : un raisonnement selon un mode
phénoménologique va nous assurer du caractère antilogique
de l’objet ou la fin visés par le déterminisme.
Impossibilité de
principe d’un déterminisme absolument objectivable (2.1.3)
L’objectivité, en tant que, par définition,
produit un objet « devant », devant un sujet, ne
saurait en effet égaler son
« producteur » sans se détruire
par-là même comme objet-devant, comme objet distant.
Or, dans le cas de l’objectivation déterministe, l’objet
serait la liberté toute entière,- mais cette
liberté, ce serait aussi le sujet ! Ce qui est contradictoire
avec une structure intentionnelle d’objet. Pour prendre un exemple (non
moins fictif), si l’on mettait devant les yeux d’un sujet l’ensemble des
« données » qui déterminaient
l’intégralité son état actuel – en quoi
pourrait consister en somme le « terme » du
programme déterministe -, ces données manqueraient encore
la réaction du sujet sur ces données et les modifications
qui suivraient cette prise de connaissance ! Le
déterminisme, selon cette approche intentionnelle d’objet, ne
saurait donc se concevoir sans contradiction comme résultat.
Remarquons qu’il n’est pas besoin d’être
phénoménologue pour apercevoir cette
contradiction intestine du déterminisme ;
Valéry aussi observe :
« Le
‘déterministe’ nous jure que s’il savait tout, l’on
saurait aussi déduire et prédire la conduite de chacun en
toute circonstance, ce qui est assez évident. Le malheur veut que
« tout savoir » n’ait aucun sens ».
D’une
manière élégante et radicale, Valéry
conforte notre analyse par l’absurde : le programme
déterministe n’a pas de terme, il est - finalement
– contradictoire dans son terme, et ne saurait se concevoir a
priori dans le cadre d’une objectivité de résultat.
Le postulat de
déterminisme comme principe de raison (2.1.4)
Les
éléments qui précèdent doivent donc donner
au déterminisme un caractère et une objectivité
strictement projectifs ; le déterministe demande
qu’on imagine seulement sa direction programmatique,
en pointillé, comme à venir, - sans en
anticiper le résultat. C’est d’après nous à
cette seule condition que le programme déterministe peut devenir
un postulat et prendre la forme, à la limite, d’une
« fiction régulatrice » pour voir son
programme en partie réaliser.
« La
science opère sur le postulat de la
causalité : les phénomènes de la nature
n’obéissent pas au caprice, ils sont ordonnés et
explicables par des relations de cause à effets »
Mais qu’est-ce
qu’un « postulat » ? C’est bien
« l’adhésion au déterminisme, nous dit
un autre psychologue, qui est un postulat fondamental de toute
démarche scientifique » [12]. Le même auteur nous assure en
revanche que « cela ne signifie nullement que la vie mentale
soit prédéterminée ou prédestinée, ni
[même] que les événements dans ce domaine soient
toujours prévisibles » [13], - c’est à dire que ses résultats
soient saturés dans leur détermination. Nous
sommes très loin du caractère d’absoluité
suggéré plus haut. Le déterminisme semble changer
de sens dès lors qu’on entre dans la considération des
résultats réellement obtenus. Le postulat de
déterminisme à l’œuvre en psychologie ne tient-il pas
plutôt du principe de raison que de la ratification
d’une rationalité pan-explicative et absolue ?
Caractérologie et
causalité faible (2.1.5)
Revenons enfin à la caractérologie, à son
objectivité et à sa détermination. L’attention que
nous avons portée au protocole expérimental de la
caractérologie dans la partie précédente nous
permet de répondre assez facilement du degré de
« déterminisme » dont elle relève.
Nous avons vu en effet que la consistance d’une étude
statistique reposait essentiellement sur une analyse mathématique
et formelle. Il nous a fallu indiquer que l’ensemble des traits de
personnalité, lorsqu’ils passent à cette analyse
discriminatoire, ne deviennent ré-accessibles à
l’interprétation psychologique que suivant une différence
herméneutique, constitutive pour cette interprétation. Le
rapport de causalité indiqué par les
différents systèmes corrélationnels est alors
nécessairement frappé d’une suspension de la
référence à tout contenu psychologique réel.
Un autre aspect de cette suspension implique que la corrélation
entre deux indices de phénomènes psychologiques
ne saurait être assimilée à une
« simple » causalité : même
« une causalité forte n’est pas la preuve d’une
causalité unique entre deux variables (ou facteurs) ».
Certains interprètes des analyses factorielles vont
jusqu’à généraliser que « la plupart des
corrélations sont non causales ». Au
mieux on formulerait que le rapport de causalité sortant d’un
protocole d’analyse statistique de la personnalité vaut comme un
système de chaînes de motivations formelles - seulement
probables. On doit bien dire que la causalité dont
relève l’enquête fondatrice de la caractérologie ne
peut être globalement décrite que comme une causalité
faible.
Conclusion intermédiaire
: vers un examen du problème de la liberté
et de la nécessité comme problème subjectif et
dialectique
Si les quelques
éléments d’analyse du prétendu déterminisme
psychologique qui précèdent ont quelque raison acceptable,
nous tiendrions que le problème du déterminisme ne peut
être répondu - ni donc posé –
à l’aune d’une l’objectivité forte de type
physique : (i)
il n’est à l’origine qu’une hypothèse, (ii) son principe
d’objectivité est contradictoire dans son terme, (iii) il
mobilise de fait une multiplicité d’objets, (iv) il
n’aurait aucun sens sans un renvoi du physique au psychologique.
L’application de ce
concept au champ de la caractérologie est pour le moins
périlleuse ; elle nous a permis toutefois de dégager
que le type de détermination qui lui est propre relève
d’une causalité faible.
Partant, il reste
toutefois possible de proposer une autre lecture du problème
pointé par Ricoeur, lecture qu’on pourrait appeler
« analogique » [17] : l’invocation de l’objectivité
scientifique et l’impasse déterministe corrélative
vaudraient enfin pour indiquer non strictement une situation de
problème objectif - mais bien une difficulté subjective,
- qui n’est pas moins réelle. On pourrait soupçonner en
effet que le vêtement formulaire du problème dans des
termes objectifs ne fait que recouvrir
cette difficulté - peut-être insondable - à se
penser déterminé. Le problème du
déterminisme, qui transiterait alors du côté de la
subjectivité, mériterait peut-être cette
précaution qu’on l’appelle, non plus
« problème », mais questionde
la nécessité, ce qui accuserait ce
caractère dialectique [19]dont pour nous elle relève
essentiellement. C’est en quelque sorte selon un
tel « déplacement de sens » que
l’avait compris par exemple R. Lacroze, dans son intervention au Congrès
de Philosophie en 1949 :
« Le
déterminisme, s’il veut emporter une conviction
véritable, doit se placer dans la vie concrète, confronter
la croyance personnelle de l’individu en sa liberté avec une
autre évidence intime, celle d’être
prédisposé par son caractère,
poussé par ses passions, mené par les
évènements » [20]. Les conséquences de ce
déplacement sont posées par cet auteur :
« De ce
point de vue, toute philosophie de la liberté ou du
déterminisme n’est que la mise en sujet d’une
expérience intérieure, qui, prise en elle-même, échappe
à toute critique ».
Nous nous
attacherons alors à examiner cette question de la nécessitédans
les textes du Traité et de la Destinée
personnelle (3). Avant d’entreprendre cet examen, nous allons
revenir sur les questions posées en introduction.
II.
Statut herméneutique global de la caractérologie
L'objectivation du caractère et la nature
Tout reste à faire, puisque nous ne savons pas (…) quel usage
légitime peut être fait de l’éthologie.
Comme nous le
disions précédemment, le plan sur lequel s’élabore
l’interprétation et la critique de la caractérologie par
Ricoeur est celui de l’objectivité. Nous avons pu préciser
que l’objectivité critiquée ne saurait être celle du
niveau de l’analyse statistique lui-même, mais qu’elle concerne
déjà l’interprétation de ses
résultats ; en marge de notre lecture analogique des
difficultés rencontrées par Ricoeur, il nous semble encore
que sa critique pourrait être comprise comme la critique d’un
principe d’objectivation -- de réification -- qui serait au
principe de l’herméneutique des caractères. Accompagner
Ricoeur dans cette compréhension
« objectivante » de la caractérologie nous
permettra aussi d’en commencer de situer le statut herméneutique
global. Nous saisirons alors l’occasion d’élargir notre
réflexion à la perspective caractérologique sur le
« problème du sujet » : devant un
questionnement insistant de la philosophie contemporaine (2.2), nous
tenterons de montrer l’originalité et la fécondité
de l’alternative proposée par le point de
vue caractérologique (2.3). Nous proposerons ensuite de lire
cette originalité dans le contexte de l’émancipation
d’une psychologie scientifique à laquelle la
caractérologie ne fut pas indifférente (2.4). Nous
commencerons de voir comment la caractérologie, faisant le pari
d’une constitutionnalité de nature, a pu se heurter au paradigme
environnementaliste dominant (behaviorisme) ; nous donnerons enfin
quelque vue sur les perspectives de leur réconciliation dans le
contexte des recherches actuelles.
Le sujet à l’horizon du concept (2.2.1)
Ricoeur prend acte,
semble-t-il, de la difficulté à retrouver la
subjectivité individuelle dans l’herméneutique
caractérologique compte tenu de la base statistique sur
laquelle elle s’élabore. Il pose en effet que« l’effort pour constituer les psychographies (…) suppose
[déjà] une objectivation totale de
l’individu ». Le caractère s’y donnerait sur le mode
de l’avoir, de l’objet : « tel qui est flegmatique a une
véracité de 87% (…) Avoir tel caractère c’est
appartenir à telle classe qui a telle
propriété ». Ricoeur demande alors :
« comment une moyenne de conduites individuelles
réelles donnerait-elle une disposition ? La méthode
statistique ne donne aucun équivalent de la notion subjective de
disposition à… ». Ricoeur souligne la
difficulté à retrouver « la
volonté », la « disposition
à… », bref à retrouver la subjectivité,
l’individu ou le sujet singuliers et vivants :
« (…)
pour l’éthologue (…), tout se passe comme si l’individu se
réduisait à son propre portrait et son portrait à
sa formule éthologique indéfiniment
développée » [23]
Cette
interprétation consiste en quelque sorte à faire de cette
différence herméneutique que nous avons relevée une
impasse herméneutique. On ne passe pas du statistique au sujet
directement : Le Senne n’aurait pas désapprouvé ce
jugement ; néanmoins un tel jugement ne saurait être
considéré comme une objection [24] recevable au projet
caractérologique :
« En
réalité la caractérologie générale ou
spéciale ne prétend pas elle-même retrouver les
individus. Il lui suffit de pouvoir construire des êtres de
raison, le sentimental ou le passionné (…) afin d’en faire comme
des repères par rapport auxquels les individus vivants pourront
se situer. Si l’on veut, elle fixe, par des points d’encre rouge, des
positions toutes théoriques ; et, quand elle retourne de la
définition de ces types à la vie, elle voit des hommes
qui, à raison de certaines de leurs propriétés
mentales, peuvent être reportés sur le plan des points
rouges par des points noirs, formant ainsi une nébuleuse autour
des points rouges : par leur situation ils indiquent à l’œil
d’un bon observateur comme possédant telles
propriétés intermédiaires entre les
propriétés définies comme des concepts
purs. »
La
caractérologie est conceptuelle ; elle ne peut être
comprise ou interprétée sans la médiation du
concept. Ricoeur, dans ce sens, comprend aussi que
« l’éthologie opte finalement pour l’idée
générale contre l’essence
singulière » ; mais c’est encore l’horizon
opposé auquel vise le caractérologue :
« Le
conceptuel n’est jamais pour l’esprit qu’une médiation dont le
sens consiste dans son rapport avec le réel intuitivement saisi
et allusivement signifié. A travers la caractérologie,
l’esprit du caractérologue vise ou au moins doit viser vers
l’idiologie,
c’est à dire la connaissance-limite de l’individu. (…) C’est dans
cette visée que la caractérologie fait éprouver sa
valeur spirituelle. » [27]
Cette introduction
de la notion de valeur suggère la destination éminemment
morale de la caractérologie. L’éthologie doit se prolonger
naturellement dans l’éthique. Plus loin, on pourrait
peut-être soutenir que l’anthropologie n’est pas
entièrement dissociable en son essence d’un tout premier
positionnement axiologique. On peut déjà le lire dans la
critique de Ricoeur elle-même : c’est bien l’objectivation
anthropologique qui est « rejetée »
(fût-elle scientifique !) au nom d’une liberté
comprise par lui comme valeur morale et supérieure. Mais si,
comme le pense Ricoeur (qui accuse ici une manière fort
existentialiste), l’éthologie exige « la suspension de
cette communication spécifique par laquelle nous aurions une
chance d’accéder à l’autre comme existence », la
question est aussi de savoir, au-delà de ce qu’elle ne permet
pas, ce que permet l’éthologie en tant que connaissance de la
diversité humaine, c’est à dire en tant que connaissance,
conceptuelle et abstraite, de l’autre.
Fascination
et rejet du caractère (2.2.2)
Avant d’y venir, il nous faut nous arrêter sur le sens
extra-philosophique de ces objections. Manifestement, la critique de
Ricoeur n’est pas qu’une critique de la théorie
caractérologique ; son sens complet (ou son sens tout
court ?) nous échapperait si l’on n’y voyait pas la critique
– à peine dissimulée – d’un usage (mauvais) de la
caractérologie.
Mais du seul point
de vue de sa progression théorique [28], la critique de Ricoeur est
déjà surprenante, sinon vraiment confondante.
Après avoir tenté d’établir que « le
second postulat [du caractérologue] était le primat
de l’automatisme sur l’action réfléchie et
volontaire », où « la volonté [ne
pouvait plus apparaître que comme] une complication du
phénomène idéomoteur », - ce qui pour
Ricoeur condamnait toute espérance de « rapporter
directement le caractère au sujet libre », -
Ricoeur nous lache :
« On ne
saurait trop mettre en garde contre toute tentative de repousser le
caractère à l’extérieur de la volonté ; pouvoir, vouloir, motifs, tout en moi porte la marque d’un
caractère (…) » [30]!
Ou bien :
« Je
pressens que liberté et destin ne sont pas deux règnes
juxtaposés (…). Je devine, sans pouvoir articuler cette
pensée correctement, que mon caractère dans ce qu’il a
d’immuable n’est que la
manière d’être de ma liberté. (…) J’ai une façon de choisir et de me
choisir que je ne choisis pas. (…) Si parfois il me semble que
telle ou telle région morale est plus familière à
tel ou tel caractère, cela n’est point faux ; c’est le
signe que nous n’avons pas considéré la valeur dans toute
son envergure, mais déjà selon la partialité d’un
caractère. » [31]
Cette
« ambivalence », ce maintien simultané de
la thèse et de la thèse contraire, pousse Ricoeur
à avouer :
« Au
terme de cette analyse difficile, et au total fort peu satisfaisante
pour l’esprit, il est nécessaire de montrer que
l’éthologie, un moment mise en question, peut et doit être
retrouvée. » [32]
Une telle
réconciliation finale ne doit pas faire oublier la
détermination affichée en introduction du texte :
l’ « ambivalence » dont nous parlons, et
cette dynamique d’attraction et de répulsion à
l’égard du caractère, a d’après
nous une de ses clés livrée dans le texte
lui-même : c’est cette « fascination
qu’exerce le caractère » [33], dont
« Il est
impossible que [la] connaissance objective ne fasse retour sur moi et ne
soit happée par une dialectique intérieure qui
n’attendait que l’alibi d’une science pour développer ses
prestiges destructeurs. » [34]
Pour se convaincre qu’il ne s’agit plus (seulement) de philosophie et
de raison, on observera encore ce passage :
« Quiconque
a une connaissance qui reste superficielle de la théorie des
caractères ne peut s’empêcher de jouer à
l’égard de lui-même et des autres au jeu des
portraits : suis-je un nerveux ? Un tel est-il un
flegmatique ? » [35].
Ce que Ricoeur commente de la sorte :
« la
nécessité objective est le masque de raison d’une
fatalité qui n’est plus seulement d’entendement mais de société et de passion ».
Mais la
caractérologie est-elle un jeu ?
Les extraits qui
précèdent feraient vite de nous suggérer cette
hypothèse que la critique de Ricoeur trouve son centre, ou
plutôt son épicentre, dans la confusion de la
caractérologie comme « science »avec
l’usage détérioré qui pourrait en être fait
ou avec l’idéologie qu’on pourrait en tirer. Cette
hypothèse demanderait un développement sur les
(més)usages et la réceptionde
la caractérologie (dans le corps social, institutionnel et
intellectuel), qui déborde notre propos.
Il nous fallait
toutefois, en marge de notre étude, faire état de cette
confusion en ce qu'elle pourrait avoir joué (au moins en
surface) dans le désintérêt croissant de la
philosophie française pour la tradition caractérologique ;
mais aussi en ce qu'une telle confusion illustre un divorce
peut-être plus grave : entre la « science de
l’âme » et l’« amour de la
sagesse ». Et c'est bien de la caractérologie en
tant que psychologie que la critique de Ricoeur procède. Ces
quelques mots de Pascal Engel [39]
permettront de donner un contexte au geste paradoxal de Ricoeur :
« Quand
la psychologie, à la fin du XIXe siècle, s’est
transformée en discipline scientifique, elle a proposé une
idée de l’homme comme d’un être soumis à des tests
dans le cadre dans le cadre d’une conception instrumentale de la
rationalité, pour lequel l’homme n’est qu’un outil. »
Il poursuit, dans
la boutade suivante, en décrivant la réaction d’une partie
du corps philosophique devant cette « conception de l'homme
» :
« Canguilhem
demande si en sortant de la Sorbonne, par la rue Saint Jacques, le
psychologue prend vers le Panthéon ou vers la Préfecture
de Police… Toute une génération de philosophes et
d’étudiants français ont suivi ce conseil d’orientation de
Canguilhem comme une invitation à se détourner de la
psychologie et de ses possibles intrusions en philosophie. »
Voilà
semble-t-il une autre clé qui pourrait très vite refermer
la porte ouverte par la caractérologie, fût-elle, non
seulement, comme nous tentons de le montrer, une psychologie philosophique,
mais inscrivant son effort dans la même lutte contre une
psychologie qui tend à instrumentaliser l’individu…
Pour retrouver les
limites de notre sujet, nous nous accorderons au sage pricipe
posé par Mucchielli : « la caractérologie
ne [saurait] être tenue pour responsable des conceptions
cosmogoniques fondées sur elle ».
Toutefois le
témoignage de Ricoeur nous incite à nous demander en
quelle mesure l’interprétation
« fataliste » n’est pas déjà en
puissance dans le texte lesennien ; c’est ce qui justifiera une
nouvelle fois et selon un angle différent qu’on examine comment
s’y inscrivent les rapports de la détermination et de la
liberté (3).
Le problème du
sujet (2.2.3)
Qu’est-ce que la
caractérologie, en tant que connaissance conceptuelle et
abstraite, permet-elle en terme de compréhension de l’autre ?
Afin de mesurer cet
apport, nous pensons qu’il est bon de commencer par dimensionner la
question elle-même devant la largeur du champ qu’elle occupe.
« On
connaît l’importance de la question du sujet dans la pensée
contemporaine ; chez Lacan, Levinas, Derrida, le sujet n’est plus
‘qu’un mot’ - la chose est détruite par ces mêmes
doctrinaires. » [41]
Le sujet
contemporain est en question, sinon est-il « mis
à mal ». Mais, on s’en convaincra, cette question ne
saurait se limiter au seul périmètre de la philosophie :
en quelle mesure la philosophie ne fait d’ailleurs que répercuter
une situation de problème bien plus
« globale », nous l’indiquerions trop
brièvement en rappelant que c’est devant une succession et un
essor fabuleux des paradigmes anthropologiques (psychanalyse,
marxisme, structuralismes divers, sociologie, béhaviorisme,
cognitivisme…) qu’elle doit chercher à penser le sujet. Comment s’y
retrouver ? Comment y retrouver le sujet ?
La
caractérologie, et surtout celle de Le Senne, n’est pas
étrangère à cette question. Le Senne a pris acte,
sinon d’un « éclatement » des paradigmes
anthropologiques, au moins d’une situation de déséquilibre
croissant dans le rapport entre la quantité du savoir
objectif sur l’homme et une synthèse qualitative de
plus en plus difficile à réaliser en retour. Nous sommes
donc toujours situés sur l’axe de questionnement qui est celui
de l’objectivation. Sur cet axe nous introduirons à deux
réflexions en quelque sorte parallèles. Nous voudrions
suggérer d’abord la persistance et la radicalité de la
question du sujet (i) selon la filiation
phénoménologique, qui anime toujours le débat
philosophique, et
mettre en relief la voie alternative prise par la
caractérologie. Nous introduirons ensuite à des questions
similaires considérées cette fois sous l’angle de la
psychologie concernant la possibilité de l’émergence de
cette synthèse psychologique.
L’autre suspendu (2.2.4)
Reprenons : « chez Lacan, Levinas, Derrida, le
sujet n’est plus ‘qu’un mot’ - la chose est détruite par ces
mêmes doctrinaires. » [44]
Sauf le cas de
Lacan, il semble assez aisé de situer une origine de
problème commune à ces (non) philosophies du sujet ;
leur source se trouve manifestement dans un positionnement du
problème tel qu’il est proposé par la
phénoménologie husserlienne. Ce problème est,
spécifiquement, celui de la constitution d’autrui, tel
qu’il s’offre à une conscience transcendantale, la
conscience qui opère l’epochè
phénoménologique, c’est à dire la suspension de la
conscience naturelle ou thèse-du-monde (Weltthesis). Or, autrui
est d'abord un « habitant » du monde naturel. Sa
constitution à
l'intérieur de la sphère transcendantale est donc
un paradoxe pour le phénoménologue. -- Cette situation de
problème, qui peut déjà paraître en soi assez étrange, l’est
bien plus si l’on considère le geste husserlien dans son
ensemble, qui a été lui aussi compris comme un retour
au sujet ! [48])
Si nous sommes
encore ici à la frontière extérieure des questions
qui doivent nous préoccuper (celles de
l’altérité et de la connaissance de l’autre), elles
semblent bien avoir commandé à l’élaboration de
ces (non) philosophies du sujet – de l’altérité –
mentionnées plus haut, qui occupent une part non
négligeable de la réflexion (éthique)
contemporaine. Sartre, lecteur de Husserl, observe que
« l’existence d’autrui n’est pas certaine » ; il
observe encore que « le conflit est le sens originel
de l’être-pour-autrui » [50]. Ces deux assertions, ces deux
« états de choses » pourraient-être liées
à l'origine : cette position transcendantale de la conscience...
Sans en préjuger, nous demanderons : quelle distance (de
sécurité ?) entre le solipsisme et la claustration ?
Comment
l’incertitude transcendantale sur l’existence d’autrui
pourrait-elle surgir d’une position de la conscience transcendantale
elle-même, soit d’une conscience située hors-du-monde ?
Paradoxe : la réflexion transcendantale suspend une
existence d’autrui qu’elle doit en même temps poser par
quelque côté. D’après nous, la conscience
transcendantale ne saurait revendiquer aucun droit à
l’originaritépour
la position de l’existence d’autrui.
Quoi qu’il en soit
de ce paradoxe, la position du problème du sujet depuis un
contexte phénoménologique montre la difficulté
extrême qu’il y a pour les philosophies qui s’en inspirent
à se prolonger en philosophies du sujet, sinon en
« philosophies de l’autre ». Le renversement
opéré par Lévinas, s’il peut être
schématisé dans une « substitution de Moi par
l’Autre »,
rend assez sensible cette difficulté [53].
Ce détour
par la forme que revêt le problème du sujet selon la
filiation phénoménologique n’aurait pour objet que
d’introduire, par contraste, à la souplesse et surtout
à la finalité de l’objectivation de l’autrepour
une approche caractérologique, si l'on n’y ajoutait l’argument
suivant. G. Lurol propose en effet qu’une compréhension de la
modernité (ou post-modernité) et les problèmes
qu’elle soulève -– dans cette période qu’il appelle
« critique du sujet »--,
devrait se compléter d’une relecture historique de ses
conditions en quelque sorte pré-critiques :
« Dans la
mesure où l’époque arrive à la fin des processus
avec lesquels s’est constitué la modernité du
siècle et la pensée de cette modernité, c’est
l’ensemble des problématiques qui ont pris corps au début
de sa prise de conscience par elle-même, c’est à dire les
années trente, qui se trouvent réactivées.
»
Pour une connaissance de
l’autre (2.3.1)
Le conflit est le sens originel de l’être-pour-autrui
Pour R. Misrahi aussi, « dans la vision empirique et ordinaire
des choses, l’autre apparaît comme un ‘scandale’ ou comme un
ennemi, comme un concurrent et un rival en tout cas ».
Le positionnement
phénoménologique de l’altérité accusait la
distance qui me sépare d’autrui en indiquant ses conditions
transcendantales. Revenir-au-monde et à la pluralité
des consciencesne
résout pas les difficultés qui surgissent de
l’altérité ; au contraire, ce retour permet seulement de les faire
apparaître. Il ne suffit pas de dire que la
différence joue de moi aux autres, mais il faut tenter aussi de
dire comment elle joue, et par suite comment on pourra réagir
sur elle. La première option permet peut-être une
« révolution personnelle autour de la
différence », en annonçant une éthique
du sujet.
Mais, avec le caractérologue, on demandera comment une simple
transformation de mon rapport à la différence
n’ouvrira pas un espace de « liberté »
toujours plus grand pour ma mécompréhension
de l’autre :
« Il
n’est que trop facile à un homme d’universaliser son
caractère propre et de juger des autres d’après ce qu’il
est lui-même. » [60]
Réciproquement :
« Quand
la conduite d’autrui est différente de la nôtre, elle
commence par nous paraître absurde. Mais, plus elle nous
semble telle, plus il nous faut faire effort pour pénétrer
dans ses origines caractérielles. »
Le
caractérologue propose dans cette voie de distinguer deux
manières de sympathie pour autrui :
« Il
faut se méfier de la sympathie spontanée comme source de
la connaissance d’autrui. Elle consiste bien à se mettre à
la place d’un autre ; mais en se substituantà
lui. Au contraire la sympathie vraie, la sympathie
caractérologiquement fondée consiste à se mettre
à la place d’autrui en éliminant ce qui ne manifeste
que soi. »
C’est ce qui n’est
possible que lorsque le sujet « a reconnu le caractère
et qu’il a pour ainsi dire, construit ce caractère dans sa
propre conscience en mettant entre parenthèses certaines de ses
dispositions propres, en en spécifiant d’autres »
La voie
caractérologique consiste donc à prolonger un regard objectif
et désintéressé sur la différence - ou
plutôt sur les différences, et de tenter les
décrire, de les circonscrire, voire de (se) les expliquer. On
peut dire de l’effort de connaissance caractérologique qu'il
cherche à dérouler les conditions spéciales de
la différence intersubjective.
Il est
indéniable que cette étude nécessite une objectivation
du sujet – de l’autre - ; il n’en est pas moins vrai que cette
objectivation n’est qu’un moment théorique et qu’elle est au
service d’autre chose qu’elle-même :
« La
vertu de l’intellectualisme réside dans la
nécessité qui subordonne, à la connaissance des
idées, la communication entre des consciences d’abord
hétérogènes et hostiles. »
Soucieuse comme il apparaît
ici, d’une situation d’hétérogénéité
éthologique originaire (ou naturelle), la caractérologie n’en prépare donc pas moins à une éthique de la différence. Ces conditions posées, nous
pouvons maintenant commencer notre lecture du système
proposé par la perspective caractérologique
franco-hollandaise.
Des
propriétés fondamentales ? (2.3.2)
Si l’on
considérait a priori que chaque caractère
entre dans une relation de différence spécifique avec
chacun des sept autres caractères, un développement
exhaustif des différences inter-caractérologiques du
système de Heymans offrirait une casuistique à 28
entrées. Ce travail d’analyse fastidieux, qui n’est mené
aucun caractérologue, peut être en partie contourné,
au prix il est vrai d’une certaine schématisation. Comme la
caractérologie repose sur trois propriétés
fondamentales, les différences inter-caractérologiques
peuvent être analysées de la même manière
suivant les trois « frontières
fondamentales » : A/nA, E/nE et S/P. Ceci nous
amène à interroger en premier lieu la
« fondamentalité » prétendue de nos
trois propriétés.
La question de la
fondamentalité des propriétéspeut
être considérée sous plusieurs aspects. Elle peut
renvoyer à l’analyse de plusieurs critères
objectifs : (a) un critère dur, celui de la cohérence
statistique des propriétés en tant que facteurs, et
(b) un critère que nous appelerons problématique, celui du
rapport entre des traits de personnalité (ici des
propriétés) et une réalité physiologique
(biologique ou même génétique). Mais il nous a paru
qu’elle doive renvoyer aussi – en partie à cause des
problèmes posés par le critère
précédent -, à des arguments, qui ne
peuvent que tendre à l’objectivité : nous avons
relevé dans ce domaine celui (c) de la cardinalité
d’un système de propriétés ; celui, lié au
précédent,(d) de la tradition. Le Senne enfin nous
propose d’y ajouter (e) un argument métaphysique.
a) Nous avons
déjà mentionné (1.3) que l’outil statistique
de la factorisation a pu prétendre assurer à lui
seul de la prétendue fondamentalité des facteurs obtenus ;
nous avons vu les difficultés qui s’en suivaient pour
l’interprétation. On doit cependant exiger des
propriétés choisies initialement qu’elles s’exposent au
moins au critère statistique d’une cohérence
factorielle a posteriori. Ce critère de cohérence
n’est dur en réalité que dans certaines limites, car il
ne consistera à rejeter que les résultats situés
au-delà ou en deçà d’un certain seuil ; ce
qui laisse encore une place pour l’interprétation
(subjective ?) concernant les systèmes marginaux qui
frôleraient ces seuils. Ainsi on a vu que A était
lié négativement à E, positivement à S,
sans pour autant que l’analyse puisse rejeter ces hypothèses
factorielles. Ajoutons que cette cohérence des résultats,
malgré la faiblesse de l’instrumentation statistique
mobilisée par Heymans, pouvait déjà
apparaître aux yeux de Le Senne :
« Jusqu’à
maintenant, il y a eu autant de caractérologies que de
caractérologues. Toutes ont leur mérite, toutes leurs
insuffisances. Mais, c’est précisément parce que toutes,
ou du moins beaucoup, ont leurs mérites que le plus sage est
évidemment de partir de celle dans laquelle se concentrent les
plus importants des résultats obtenus. Les auteurs de cette
collection s’accordent à juger que cette condition a
été la mieux satisfaite dans le passé par les
analyses de l’Ecole de Groningue et que, par conséquent, le plus
sage est de s’accorder à la prendre comme caractérologie
de départ. » [66]
b) Le
deuxième critère est celui du
« réalisme » physiologique ou
biologique des propriétés, qui demande en quelle mesure on
pourrait mettre en rapport ces propriétés avec nos
connaissances en matière de fonctionnement du corps ou de
l’esprit humains, telles qu’elles nous sont fournies par les sciences
correspondantes. Il est évident que de nombreux niveaux d’analyse
pourraient être mobilisés pour répondre
du réalisme d’un système de propriétés.
Nous ne mentionnerons ici que deux approches possibles : celle
d’une topologie du fonctionnement cérébral, et celle
d’une approche génétique. - On ne saurait bienentendu
faire figurer ici une synthèse véritable : il nous
suffira de proposer ou de reprendre quelques pistes, mais surtout
d’insister sur le caractère problématique de ce
critère. Voilà maintenant une présentation rapide
des relations de nos trois propriétés à leurs
« référents » physiologiques
présumés.
« L’émotivité
est d’essence psycho-énergétique »(…) elle
enveloppe toujours la libération d’une certaine quantité d’énergie
organique » [68]
L’émotivité
est le principe dynamique, moteur de toute action ou
pensée. L’activité lui est liée. L’analyse
statistique la liait négativement à
l’émotivité. Or, cette négativité est
comprise dans la définition de l’activité : elle est
tout de suite mise en rapport à l’obstacle. La
définition qui en donnée dans La Destinée
personnelle consacre ce renversement de l’activité en la
propriété in-activité :
« Puisqu’il
est essentiel à toute énergie de travailler sur une résistance,
la première condition qui s’impose à
l’émotivité est la résistance opposée
à son exercice par l’inertie, plus ou moins grande, des
fonctions organiques » [69]
L'in-activité est
« coefficient d’inertie » de
l’énergie mobilisée par l’émotivité.
Voilà nos deux première propriétés comprises
en des termes pseudo-biologiques ; d'après le médecin
et caractérologue G. Torris, la « relation entre
l’émotivité et le système nerveux glandulaire est
certaine »
Le cas de la fonction
de retentissement (propriété P/S) est directement issu des
recherches menées par O. Gross sur la cellule nerveuse, reprises
ensuite par Wiersma dans une étude sur les temps de
réactions des primaires et des secondaires :
« La
fonction primaire du cerveau est l’exercice propre et initial d’une
cellule nerveuse, à savoir la production de son effet psychique
positif c’est à dire d’une représentation (…) La fonction
secondaire est la reconstitution, la réfection de l’état
antérieur de la cellule (…) » [73]
Ce temps de
réaction pourrait vraisemblablement être ramené
à l’activité propre du cortex [74].
En suivant ces
hypothèses, le modèle de Heymans pourrait être
compris dans une bipartition et suggèrer une
réalité topologique et processuelle du fonctionnement
cérébral : d’un côté, l’émotion
(E) et sa résistance (A/nA) mises en parallèle avec
l’activité glandulaire; de l’autre, le temps de réaction
(P/S) opéré par un traitement cortical de l’information.
Quittons
provisoirement les propriétés de Heymans pour faire
apparaître clairement, suivant les tentatives d’approche d’un
parallélisme entre traits de personnalité et gènes,
le caractère problématique [75]du critère de réalisme --
ou de « réalisme »; des recherches furent
récemment développées [76] par des chercheurs anglais et
américains que nous pourraont que développer
imparfaitement. En recherchant le lien qui unit, suivant l’exemple d’un
des articles cités, un trait de personnalité comme
« la recherche de la nouveauté » (novelty
seeking) et un récepteur génétique (le gène
transporteur dopamine D4), ce genre de recherches vise bien au fondement
génétique à la différenciation de types de
personnalité ou de tempéraments humains ( bien entendu innés). Notre remarque
annoncer le genre « problématique »
de ce critère est la suivante : un tel type de recherche
nécessite une approche concourante des deux niveaux
engagés : d’une part l’identification d’un processus
biologique, et d’autre part une identification au niveau
psychologique de ce que représente un trait de
personnalité. Un trait de personnalité doit être
décrit, construit, et même préconnu, pourrait-on
dire, par l'intuition - et ne saurait être réduit intégralement (dissout) dans son
référent physiologique. Sans compréhension ou
analyse du côté de la personnalité on ne peut plus
lui attribuer aucune signification. Le Senne a fort bien saisi ce
point :
« Il
faut en premier lieu observer que la traduction d’un terme de
caractérologie dans un langage physiologique n’avance pas la
caractérologie elle-même. Dans tous les domaines de la
connaissance où l’homme intervient, il ne le peut sans que des
conditions physiologiques n’interviennent aussi en lui et avec lui. Il a
bien fallu à Napoléon qu’il produisit des contractions
musculaires pour signer le Traité de Tilsitt : à quoi
servirait-il à l’historien de le rappeler ? (…) De
même le physiologique est bien dans le caractérologique (…)
Dès que nous considérons les conditions physiologiques
d’un trait de caractère, c’est que nous ne le considérons
plus comme un trait de caractère. »
Nous appelons donc
de critère problématique pour prévenir qu’il
ne saurait s’agir du seul « parallélisme
psycho-physique » [78]des
premiers psychologues scientifiques – qui tend justement à cette
réduction-dissolution plus ou moins sommaire du psychologique au
(ou dans le) physiologique [79].
c) Nous avons
mentionné plus haut des recherches qui portaient sur des traits
de personnalité isolés, - qu’elles
nécessitent par ailleurs que l’investigation soit maintenue sur
le terrain de la compréhension psychologique. Ce terrain ne
saurait se limiter à être celui d’une collection de
significations, isolées et indépendantes les unes des
autres ; mais y ajouter le seul critère de leur
cohérence factorielle ne saurait engendrer encore qu’une
collection de facteurs. C’est maintenant à l’intuition qu’il faut
demander que cette collection devienne (i) non seulement un système
intelligible, un système qui rende compte (ii) de
manière la plus fidèle possible de la richesse de notre
expérience de la diversité humaine -
ce pourquoi nous pourrions appeler cet argument celui de la cardinalité
des propriétés. La première condition a paru
à Le Senne une condition satisfaite par le découpage de
Heymans :
« Ce
découpage a pour lui (…) de conduire à des types qui
permettent la systématisation d’un grand nombre de
faits. »
On peut ajouter
cette autre remarque de Le Senne concernant l’intelligibilité
globale du système de Heymans (nous soulignons) :
« Cette
préférence n’implique pas qu’un autre découpage de
l’expérience humaine ne pourrait servir ; elle admet
seulement qu’il faut partir du découpage le plus simple possible,
en attendant que le progrès de la recherche conduise à le
préciser et à l’enrichir. »
Nous pourrions
marquer ici un point de comparaison entre le système de Heymans
et celui du ‘Big Five’ (modèle dominant (?) dans la psychologie
anglo-saxonne dans la dernière décennie). Comme son nom
dit vrai, le ‘Big Five’ est un découpage en cinq
propriétés principales : Openess to Experience,
Consciousness, Extraversion, Activity, Neuroticism ; s’il doit amener
à considérer autant de sous-ensembles de
corrélations correspondant à la répartition de
part et d’autre de chaque propriété,
l’interprétation devrait alors travailler sur un système
à 32 caractères (ou habitus) correspondants…
L’exposition ne serait-elle pas livrée à un
problème de taille ? [82]
Pour l’autre (ii)
argument (accueil « maximum » de la
diversité), argument encore plus
« subjectif » s’il en est, - sauf les tentatives
de compréhension que nous donnerons plus bas de la portée
herméneutique des frontières E/nE et A/nA, - nous devons
d’abord renvoyer à la cohérence de l’ensemble des analyses
(et synthèses) du Traité qui consacrent le
système de Heymans [83](toutefois,
nous avons vu que cette exigence de cardinalité des
propriétés pourrait encore se changer en critère
objectif, lorsque les propriétés limitent dans leur
principe le passage à l’interprétation).
d) L’argument de la tradition
tend à faire du recoupement des intuitions des différents
caractérologues (ou psychiatres, etc.), des indices d’objectivité :
« De ce
point de vue, la classification de Heymans a deux mérites
importants : les deux premières propriétés,
Emotivité et Activité, qu’elle pose comme fondements du
caractère, ont été reconnus par la presque
totalité des caractérologues ; la troisième,
le retentissement, a souvent été pressentie
indépendamment des deux psychologues néerlandais, par
exemple par Fouillée, Paulhan, avant d’être indiquée
par Gross ; elle se retrouve impliquée dans l’opposition
kretschmerienne du cyclothyme et du schyzothyme (…) Voilà donc
des assises solides (…) » [85]
Indiquons en outre,
puisqu’il est question ici de tradition, que le système
caractérologique traditionnel par excellence, celui qui a
« franchi les siècles, exercé la plus large
influence (…) », celui de la quadripartition
élémentale d’Hippocrate et Galien, « vient se
fondre facilement dans la caractérologie
contemporaine ». Le Senne :
« On
vérifie la valeur de la classification de Galien en montrant que
les quatre tempéraments de sa classification correspondent sans
violence à quatre groupes de la classification de Groningue.
Les sanguins deviennent les nEP, les flegmatiques les nES, les
cholériques les EP, les mélancholiques les ES »
e) Enfin, Le Senne
nous invite à considérer les propriétés de
Heymans sous l’angle de ce qu’il appelle leur « signification
philosophique » en leur accordant une portée explicative
singulière. Nous livrons le passage entier, centré
essentiellement sur les deux premières
propriétés ; nous en soulignons les
expressions-clé que nous commenterons ensuite :
« Si
l’analyse caractérologique avait été suffisamment
poussée, il devrait être possible de comprendre les divers caractères
c’est à dire les diverses modalités de la conscience
humaine en les dérivant à partir de l’esprit et de la
conscience finis en général, de manière
à montrer dans les caractères les
spécifications nécessaires du moi.
Voici comment. Le
moi peut être considéré comme une unité
absolue à la croisée de deux dimensions, de deux
diamètres perpendiculaires l’un à l’autre, l’un suivant
l’ordre de la simultanéité, suivant la relation de
l’objet au sujet, l’autre, suivant la succession. (…) En tant
que rapport de simultanéité entre le sujet et l’objet, le
moi est susceptible ou capable de deux actions de sens
opposés : l’émotivité exprime la
passivité du sujet envers l’objet qui l’affecte,
l’activité, au contraire, (…) l’efficacité du sujet sur
l’objet. » [88]
On pourrait dire
que le regard porté ici par Le Senne sur les
propriétés relève d’une perspective onto-génétique,
dont la question serait : comment peut s’ouvrir le monde
« ontique » (des objets ou des étants)
à une conscience humaine ?
En se rapportant
aux deux « piliers » de la réflexion
physico-ontologique depuis Newton ou Kant, on répondrait que ces
deux dimensions « fondamentales » sont celles de l’espace
et du temps. Kant les pensait déjà comme des
filtres a priori de notre rapport (fini) à l’objet. Le
Senne reprend le « principe » de cette
esthétique catégorielle pour comprendre ou éclairer
la division de Heymans. Mais, d’universelle qu’elle apparaissait
chez Kant - c’est à dire invariable en fonction des
individus, le caractérologue forme (et confirme)
l’hypothèse de son caractère modal, c’est à
dire susceptible de variations selon les individus.
L’espace, pris
comme temps zéro de la simultanéité, renverrait
alors à la relation (spatiale ou spatialisante)
sujet-objet, en favorisant, selon la spécification
caractérologique, l’un ou l’autre de ces deux pôles.
Nous avons déjà eu l’occasion de remarquer
le « lien d’opposition » entre nos deux
premières propriétés ; il se renforce encore
si l’on considère maintenant que l’émotivité tend
à privilégier le monde-du-sujet (le monde de
l’intime, du sentiment de soi) sur le monde-des-objets alors que
c’est au privilège inverse que tend l’activité (la
transformation du monde extérieur) [90].
Le Senne ne
développe pas thématiquement ce rapport « de
succession » (la dimension temporelle) qu’il mentionne dans
le passage précédent ; il intervient seulement
dans ce rappel synthétique :
« Avec
l’émotivité et l’activité d’une part et d’autre
part le retentissement sont intervenues les aptitudes du moi relatives
aux deux dimensions de l’espace (rapport de l’objet au sujet) et du
temps (rapport du présent au passé, consécutivement
à l’avenir) » [91]
Le temps, dans la
fonction de retentissement, peut assez facilement être
représenté comme la fréquence d’actualisation des
contenus de conscience ; ce rapport « de
succession », en variant des tempo le plus alenti à
celui le plus vif, pourraient peut-être suggérer une
polarisation de notre rapport au monde selon l’actualité.
De cet argumentaire
qui ouvre à une véritable métaphysique des
propriétés, Le Senne conclut :
« Si
cette déduction est acceptable, elle confirme
théoriquement, en les faisant comprendre par leur
nécessité, le choix des deux premières
propriétés constitutives. »
En rassemblant
maintenant les éléments proposés sur cette question
de la fondamentalité des propriétés, il
conviendrait peut-être de passer à la comparaison du
découpage de Heymans avec ceux d’autres systèmes. Ce
travail pourrait être abordé avec le développement
des modèles anglo-saxons. - Sur le territoire français
(européen ?) les modèles concurrents ne font-ils pas
un cruel défaut ? Pour la France, au regard du premier
critère, la caractérologie franco-hollandaise est à
n’en pas douter un essai unique en son genre. Il resterait
encore la possibilité, que nous ne pouvons qu’indiquer, de
confronter le modèle de Heymans-Le Senne avec d’autres
typologies, par exemple psychanalytiques.
Portée
herméneutique et éthologique des frontières
caractérologiques (2.3.3)
Puisqu’il est
question de considérer maintenant la portée
herméneutique du passage de part ou d’autre des
propriétés, rappelons une fois encore la dimension hypothétique
qui leur est essentielle, maintes fois rappelée par Le Senne
lui-même :
« Il
n’est pas dangereux de s’y rallier [au découpage par les
propriétés de Heymans] puisqu’il ne s’agit que
d’hypothèses, de formes conceptuelles dont la destination est
toujours de nous amener vers la description de l’originalité
individuelle. » [93]
Partant de cette
précaution que le système de Heymans doit être
d’abord regardé comme un modèle pour une
compréhension possible des êtres et des
évènements, nous pouvons commencer de suggérerla
portée herméneutique des frontières
anthropologiques mises en place. De la même manière qu’il
porte un intérêt plus grand aux deux premières
propriétés dans leur interprétation
métaphysique, Le Senne accorde un privilège aux
frontières de part et d’autre de l’activité et de
l’émotivité. Suivons-le dans cet ordre qui est celui de
l’exposition des caractères dans le Traité.
La première
ligne de démarcation sépare les inactifs (nerveux
et sentimentaux)
des actifs, émotifs ou non. Cette ligne permet de
déployer des effets herméneutiques suivant trois directionsdans
le monde de l’agir. Elle fournit la clé d’une
compréhension « moyenne » de l’histoire en
tant qu’elle est dominée par l’action et la responsabilité
des émotifs-actifs, tandis que les actifs-inémotifs(sanguins
et flegmatiques), en « travaillant de l’autre
côté à la science ou à la philosophie
systématique [en] sont à peu près les spectateurs
(…) pour y contribuer de façon médiate et indirecte par
les découvertes scientifiques et les idées ».
Le deuxième
effet concerne encore le rapport à l’action, envisagé sous
le rapport à l’obstacle, en séparant les
inactifs, « intérieurement
divisés », pour qui « le seul obstacle est
intérieur », des actifs,
« caractères unifiés »,
« cherchant les tâches au dehors, [toujours]
prêts à s’en acquitter et à en chercher
d’autres ».
Le troisième
effet dégagé concerne le rapport de ces deux familles
caractérologiques à leurs productions ou à
leurs œuvres ; Le Senne dégage l’équation de
proportion suivante : « l’inactivité diminue
le volume des œuvres et accroît la densité de la conscience
personnelle, c’est à dire de l’homme en lui-même ».
Cela permet de comprendre deux rapports essentiels à la
production : la production des actifs, dite
« émissive », est celle qui
« ajoute au producteur », en faisant de l’œuvre
« tout autre chose que lui » ; elle se
distingue de la production « expressive » des
inactifs, qui doit être « le miroir de ce qui se
passe dans l’intimité du cœur humain d’où elles
découlent », et « le révéler
par une parfaite transparence ».
De la
deuxième démarcation, Le Senne nous
dit : « le refroidissement du caractère
créé par l’opposition qu’il suscite entre émotifs
et froids une déhiscence intercaractérologique
extrêmement importante, qui permet de considérer la coupure
entre eux comme plus grave que la coupure entre les
émotifs-actifs et les émotifs-inactifs. »Pour
reprendre la formule que nous avons utilisée plus haut, ici
pourraient s’opposer avec ces deux familles deux orientations-de-mondes,monde-du-sujet
et monde-des-objets. Cette polarisation trouverait un premier
effet, naturel, dans l’observation d’une
« étrangeté » réciproque,
selon le mode du sentir :
« Il est
évident que l’émotif très émotif doit
toujours paraître à un spectateur, qui ne ressent pas
à l’intérieur de lui-même les mêmes mouvements
viscéraux et mentaux, un homme un peu fou et par suite un peu
dangereux ; d’autre part en le voyant ce spectateur ne peut pas ne
pas s’étonner de pas éprouver lui-même les
mêmes transports et, quand il cesse de s’inquiéter de
l’exubérance de l’autre, il doit ressentir une grande
curiosité à l’égard de cette puissance
intérieure dont il ne participe lui-même que
faiblement » [100]
« De son
côté l’émotif ne peut approcher de l’actif non
émotif sans s’étonner de la froideur qu’il rencontre et
qu’il reconnaît par une impression immédiate, comparable
à celle qu’on éprouve lorsqu’ayant la fièvre on met
la main sur un métal froid.» [101]
Ces
frontières devraient encore être considérées
dans leur négativité [102], laissant imaginer ou
représenter les situations de conflits
inter-caractérologiques qu’elles pourraient engendrer. Cette
négativité puise ses premiers effets dans des formes qui
sont déjà propres aux caractères et
indépendantes de leur relation aux autres ; elle n’est en quelque
sorte que le prolongement de cette négativité
intrinsèque et première.
« Les
inactifs trouvent cette négativité tout d’abord en
eux-mêmes ; étant ceux pour qui « le
seul obstacle est intérieur (…) la négativité
prend chez les EnA la forme de la dépréciation »;
ils s’opposent alors aux émotifs-actifs, pour qui
« l’obstacle n’est plus une raison de
découragement » mais au contraire « une
raison de persévérance », « une
barrière à supprimer » : « l’agression
en vue de la destruction doit être l’expression propre par
laquelle les sentiments négatifs de l’EA doivent se
déployer ». Mais la négativité
inter-caractérologique décisive est celle qui
sépare émotifs et non-émotifs. Pour
l’inémotif, la négativité se présente en ce
que pour lui, « le bien et le mal tendent à se
neutraliser l’un l’autre dans l’indifférent » ;
Le Senne observe que « ne rien mépriser du tout est
à la limite tout accepter, trouver en tout du positif et par
suite ne tenir pour négatif que ce qu’on ignore ou ce qu’on veut
ignorer. » Par suite, devant la chaleur des émotifs,
« le sanguin se défend par la raillerie »,
quand « le flegmatique condamne la Schwärmerei,
l’enthousiasme, en défendant l’objectivité ».
L’émotif de son côté, face à
l’inémotif, « tour à tour plaint
l’infortuné sans cœur, s’en étonne, le craint et le
fuit ».
Cette
énumération sommaire peut laisser entrevoir ce qu’une
telle modélisation de la différence intersubjective ouvre
comme horizons pour une meilleure compréhension des rapports
(naturels ?) entre les hommes.
Le sujet de la psychologie en
question (2.4.1)
Nous
vivons une époque de grande confusion dans les sciences humaines
et surtout en psychologie [104]
La
psychologie expérimentale actuelle (…) a tenu à refuser
tout ce qui ne lui paraissait pas susceptible de mesures précises
et de vérifications immédiates. Elle a toujours
montré une défiance vis à vis des théories,
craignant que celles-ci ne réintroduisent la psychologie des philosophes
dont il fallait d’abord se débarrasser.
Nous
avons pu mentionner que la caractérologie n’était pas
étrangère à la situation du savoir anthropologique
qui courait à l’époque où elle s’affirme. Il faut
aller plus loin et demander en quelle mesure la
caractérologie en général (celle de Le Senne en
particulier) n’est pas aussi en soi une réponse à
ce « règne de la quantité »
qui caractérise la psychologie naissante, et à ses
répercussions sur la compréhension du sujet.
Rappelons de
manière succincte [106]que
la psychologie cherche à conquérir son autonomie et sa
reconnaissance comme science au début du siècle en se
fondant sur l’hypothèse d’un parallélisme psycho-physique.
Si Wundt, Binet, Galton par exemple sont encore favorables à
l’emploi de la méthode de l’introspection, la recherche de
l’objectivité l’oblige bientôt à s’en
détourner :
elle conquiert essentiellement son statut expérimental
avec les développements de l’école béhavioriste
de Watson,
mais de la psychométrie en général(tests
d’intelligence, d’aptitudes, etc.). Deux domaines dans lesquels nous
pourrions voir l’ « esprit »
expérimental assez bien représenté.
Le Senne rencontre
la psychologie expérimentale émergente sous la forme de la
psychométrie (qu’il appelle
« psychotechnique » [110]). Il y retrouve, comme nous allons le
voir, deux aspects de la psychologie objective qui ne sont pas sans
effet sur la lisibilité de son sujet.
Que Le Senne, parmi
d’autres,
fut sensible aux effets pervers de cet
« éclectisme » [112]de la psychologie expérimentale
naissante, on en trouve le témoignage à plusieurs endroits ;
il nous dit ici « la déception éveillée
par l’extraordinaire dispersion, le défaut de liaison, parfois
l’incohérence des faits, des méthodes et des
résultats qui se juxtaposent sans se composer dans la
littérature psychologique internationale (…) »
Cette dispersion
des résultats lié à l’éclatement
disciplinaire de la « psychotechnique » a pour
effet de limiter la possibilité de leur intégration
dans une compréhension synthétique du sujet humain. Mais,
ce qui vaut pour l’accumulation des « savoirs »
vaut encore, selon Le Senne, pour la psychotechnique dans son
principe même. L’homme « du dehors »
qu’elle prend pour objet, le seul qui soit
« susceptible de mesures et régi par des
lois » ne saurait offrir d’autre connaissance que celle qui
« se perd dans une nature non centrée »
et d’où « ne peut se dégager qu’un
mécanisme sans signification humaine ». Cette
dispersion dans l’objet pourrait être encore ramené
à ce « projet » de constitution d’une
psychologie scientifique selon le modèle physiciste :
« Ce
qu’ont été les résultats réellement obtenus
par les sciences positives de l’homme, il semble qu’on les résume
sans injustice en constatant que la connaissance est d’autant plus
scientifique , dans toute la rigueur du terme, qu’elle descend
plus bas dans les régions de la vie humaine par lesquelles
l’humanité tend à se réduire à
l’animalité [114],
et s’engage plus profondément dans la matière, mais
qu’elle l’est d’autant moins qu’elle est amenée à monter
plus haut et en même temps à pénétrer plus
avant dans la complexité intime et l’originalité d’un
esprit humain. » [115]
Selon un mouvement
opposé – Le Senne suivant en cela son maître Bergson -,
seule une connaissance qui « sympathisant avec l’unité mentale
jaillissant à la source de la conduite » atteindrait
« par une intuition qualitative et originale à ce centre d’où
l’unification et l’intention de la conduite devienne aperceptible
et intelligible ». C’est bien cette intégration ou
cette synthèse des résultats que vise (par exemple) la
caractérologie : l’élaboration de types
cohérents et intelligibles nécessite leur
« intuition intentionnelle », sinon l’intuition -
et le talent - littéraires pour les représenter
ensuite. L’enjeu est bien de donner à penser à chaque fois
le sujet – pour chaque type - selon l’unité dans laquelle il
pourrait se saisir lui-même, en fournir un portrait intelligible
et reconnaissable : le « psychotechnicien »
qui ne prend plus le sujet pour objet, deviendrait celui qui
« désertant ainsi insensiblement la connaissance des
hommes, (…) finit par être moins avancé, moins armé
devant leur diversité que le premier venu, l’homme d’action sans
formation savante qui use, pour atteindre ses fins, de la
caractérologie du sens commun. »
Le Béhaviorisme sans
sujet (2.4.2)
Le Senne dramatise alors ce qui peut apparaître comme une
alternative dans l’évolution du savoir anthropologique entre un
modèle strictement physiciste et un modèle mixte
(qui prolonge le précédent d’une reprise intuitive et
littéraire). Il nous dit « ce débat doctrinal, le
plus important peut-être des temps modernes (…) qui est la
question de savoir ce que doit être une connaissance
de l’homme. » [117]
Sans
prétendre aucunement à dresser un « état
des lieux » des réponses que cinquante années
d’histoire de la psychologie fourniraient aux questions posées
depuis ce débat, nous pouvons peut-être laisser d’abord
quelque témoignage de la persistance des questions qu’il pose au
psychologue ; nous proposerons ensuite quelques
éléments qui prolongent ou réorientent le
débat lesennien à travers la tension entre les paradigmes constitutionnaliste
et environnementaliste dans le champ de la psychologie.
La question de la
« prolifération des modèles »
apparaîtrait comme une question des plus actuelles. A l’en croire
M. Reuchlin :
« Devant
le morcellement de leur domaine, beaucoup de psychologues s’interrogent.
L’unité de la psychologie n’est-elle pas en train de
disparaître alors qu’il est unanimement reconnu que les
problèmes humains sont essentiellement des problèmes de synthèse,
solubles seulement par une collaboration de toutes les sciences de
l’homme ? »
[118]
Mais cette question
de la synthèse, comme nous l’avons vu plus haut, se pose beaucoup
plus spécifiquement au niveau intra-disciplinaire. Sous cette
espèce, le cas qui nous intéresse avant tout est bien
celui de la psychologie différentielle ou psychologie de la
personnalité. Avant d’y venir, nous ne résisterons pas
à la tentation d’évoquer comment se donnent - ou
plutôt sont pulvérisées – sans doute sous la
dictée d’un certain principe d’objectivité, les questions
liées à la personnalité et à sa
synthèse sur le continent [119]béhavioriste. Un article de
spécialiste nous résume clairement ce qu’il en est chez un
de ses derniers représentants, B.F. Skinner :
« Il s’agit pour
Skinner d’éradiquer de la psychologie toute tentation mentaliste,
de destituer l’homme intérieur (homonculus) de ses
prétendus savoirs sur l’homme observable.
En assurant un
état maximum de dispersion des phénomènes, il a
pour vocation de suspendre l’efficace de tout discours invoquant une
quelconque transcendance, - celle des substances secondes comme celles
d’un principe métaphysique, celle de la volonté ou du
besoin comme celle d’un sujet autonome. (…) Comme tous nos faits
et gestes, nos révoltes (…) nos désirs et nos espoirs
sont déterminés. Du dehors. (…)
L’intériorité n’est rien d’autre qu’une partie de
l’environnement.» [120]
En
« neutralisant tout ce qui se passe au-dedans (…) le
béhaviorisme perd ainsi la capacité d’aborder la question
de la signification des comportements » [121]. On comprendra aisément qu’il
« considère la personnalité comme une notion
secondaire, voire encombrante (au mieux comme un dispositif assujetti
aux contingences) » [122].
Le
Béhaviorisme n’est pas la psychologie toute entière. F.
Parot, dans son Introduction à la psychologie de 1992,
nous rappelleque
« les phénomènes qui intéressent le
psychologue se situent au niveau de l’individu » et que ce
dernier, « qu’il soit fondamentaliste ou clinicien, ne peut
le perdre de vue. » [124]. Qu’il nous suffise pour l’instant
d’insister sur ce que, par opposition, « les typologies se
veulent des moyens organisés, rationnels et efficaces
d’investigation des différences individuelles.
L’individualité n’est pas ici considérée comme
un reliquat (ce qui est quasiment la règle dans la psychologie
dite objective) mais comme la donnée de base. ».
Ce détour de
notre exposé vers cette (non) conception béhavioriste du
sujet va nous permettre toutefois d’introduire aux termes d’un autre
débat qui va en quelque sorte prolonger celui que propose Le
Senne. En absorbant sans reste la personnalité dans l’environnement,
le béhavioriste exploite semble-t-il - jusqu’à son comble
- un « paradigme » qui traverse de manière
latente bien d’autres courants de la modernité ; ce
paradigme environnementaliste, on le qualifierait
peut-être mieux encore, de paradigme situationniste.
De son côté, la caractérologie (comme
« psychologie de la personnalité »)
soutient que les contingences de l’environnement doivent aussi
compter avec une nature du sujet. Avant de poser quelques termes
et conditions de lecture supplémentaires à ce
débat, nous présenterons comment cette nature du sujet se
donne dans la définition du caractère dans le Traitéde
Le Senne.
Le paradigme génétique et le
caractère (2.4.3)
« Dans
l’ensemble de cet ouvrage, caractère signifiera l’ensemble
des dispositions congénitales qui forme le squelette mental d’un
homme. » [127]
« Congénital »
est le mot-clé de cette définition. Comment s’autoriser
de ce terme ? Le Senne précise : le caractère,
c’est
« ce que
l’individu possède comme la résultante des
hérédités qui sont venues se croiser en lui.
Avant le caractère, dans le temps et dans
l’espèce, il y a eu le jeu mendélien des apports
fournis par les ascendants du nouveau-né : le
résultat c’est une structure foncière où les
hérédités (…) se sont (…) composées de
manière à engendrer une individualité à la
fois semblable aux autres et différente d’elles. (…) Il n’y a
rien dans le caractère qui ne soit congénital,
né avec l’individu, constitutif de sa nature première. »
Le mot de
« congénital » tient son originedes
travaux de Mendel, de la naissance du « paradigme
génétique » au début du siècle.
C’est sur ce « socle », depuis cette
« toile de fond »
épistémique (Foucault parlerait d’episteme)
que Le Senne vient « légitimer » le
développement de son approche constitutionnelle de
l’individualité, et s’autorise alors de ce terme de
« congénital ». Avec Mendel, on a pu
dire : il y a de l’inné en l’individu.
M. Reuchlin note au sujet des découvertes de Mendel en 1865
:
« Cette
étude (…) permit assez vite d’accumuler des arguments très
solides en faveur du caractère héréditaire d’un
certain nombre de caractéristiques physiques par lesquelles
chaque individu se distingue des autres.(…) [Si] l’extension de cette
constatation aux caractéristiques mentales, psychologiques, ne
peut se faire qu’avec la plus grande prudence (…), il n’en devenait pas
moins chaque jour plus évident que l’individu n’était
certainement pas, à sa naissance, cette « table
rase » (…) des psychologues empiristes. »
La mobilisation de
l’adjectif « mendélien » dans la
définition du caractère ne peut donc
prendre que la valeur d’un (simple) soutien à la thèse de
la constitutionnalité caractérielle : il nous assure
du quod caractérologique, du support pour une
détermination encore imprécise du caractère. On
doit donc dire que, si le fait mendélien n’implique aucune structureni
aucune forme au caractère, il vaut cependant comme factum
necessitans dans la définition du caractère,
en suggérant les éléments de solidité
et de permanence structurelle que Le Senne lui attribue.
Si un des effets de
l’émergence du paradigme mendélien a été de
consacrer l’usage de la dichotomie « inné »
/ « acquis », - ce qui vaut pour Le Senne
d’exclure dans sa définition du caractère
« tout ce qui est acquis [133] », - il nous faut
remarquer que cet usage n’acquiert aucune pertinence particulièredes
résultats expérimentaux obtenus par l’enquête
de Heymans. Comment savoir si l’enquête révèle
des dispositions de l’ordre de l’inné, et non pas de
l’acquis ? Il est évident qu’il n’y a aucun moyen de s’en
assurer, - pas davantage de l’infirmer.
Le
pari pour la nature (2.4.4)
Au stade mendélien, à ce stade problématique ou dialectique,
la question d’une nature humaine peut être livrée
au débat. Nous ne procèderons qu’à une
première indication des termes de ce débat, suivant trois
moments : en accusant encore à ce stade
(historico-épistémologique) (i) le caractère
dialectique de la question du départ entre environnement
et nature, (ii) en donnant à voir quelques conditions
idéologiques de sa réception, enfin en introduisant (iii)
à son renouvellement à la lumière des recherches
actuelles.
Si,
« pour le béhaviorisme ou la psychanalyse (…) tout est
« appris » : les traits de caractère,
la névrose, la psychose, les caractéristiques cognitives,
les talents, le génie. » [134], le caractérologue M. Boll
professait déjà de relativiser cette vue :
« En
opposition avec toutes les opinions reçues, l’action du milieu
est relativement minime, car il est sans prise sur la
personnalité innée et n’agit que sur la
personnalité acquise. » [135]
Au stade
mendélien, notons que le caractérologue ne dispose en
réalité que de sa bonne foi, dont il ne peut que faire
profession pour tenir la position d’une constitutionnalité
naturelle de l’individualité (notons qu’elle est la complémentaire
et non seulement l’adversaire de la thèse environnementaliste) :
« Je
crois, comme Jung, Kretschmer, Sheldon, Pavlov, Pende, Binswanger
ou Le Senne que chaque individu humain a un caractère
constitutionnel, un « style » typique dans sa
relation au monde et à autrui. »
Ainsi
la « réponse » au béhaviorisme
tient en ce que « tout ce qui vient de l’extérieur
est trié, filtré, déformé,
réformé et marqué par [notre] cachet
personnel », et de remarquer que « sous
l’influence [entre autres] de la psychanalyse, on s’est beaucoup –
même exclusivement – occupé des situations et des
évènements destructeurs de l’adaptation au
réel (…) de manière plus générale, des
évènements historiques concernant le sujet (…) sans se
préoccuper du fait crucial que l’homme accueille ou repousse
ces influences par un jeu de « filtres » et de
« grilles » qui sont innés et
inhérents à sa constitution. ».
On peut toutefois
aller un peu plus loin dans le rapport que peut entretenir cette
hypothèse avec la thèse environnementaliste. Le
« constitutionnaliste » peut lui accorder en effet
un crédit, selon un schéma du type suivant :
« La
plupart des déterminations individuelles demeurent dans une zone
de développement « moyenne » et ne
s’épanouissent que si le milieu agit d’une manière
favorable à leur épanouissement. [Ainsi] dans le cas d’un
environnement neutre ou défavorable, elle s’atrophient ou
dépérissent. Par contre, dans les zones de spectre
où les potentialités innées sont
particulièrement fortes, soit dans le sens du
développement ou de l’atrophie, le milieu ne peut exercer qu’une
influence médiocre. » [137]
Ce qui amène
cet auteur à la conclusion que « la plupart des
individus et la plupart de leurs potentialités, qui, par
définition, sont moyennement développées, c’est
le milieu qui joue un rôle déterminant dans leur
développement. C’est pourquoi d’innombrables apparences
paraissent donner raison à la thèse de
l’environnementalisme. » [138]
Il est sans doute
remarquable que, si la thèse constitutionnelle semble pouvoir intégrer
la thèse environnementaliste, cette dernière ne puisse que dissoudre
la thèse constitutionnelle… On s’en tiendra à noter que
dans cette situation de problème, les deux paradigmes ouvrent
deux voies théoriques également empruntables, sans pouvoir
être démenties ou falsifiées par des faits de
science.
Mais, - (ii) la « vision
du monde » [139]change
du tout au tout selon l’une ou l’autre. C’est ce que nous permet
déjà d’entrevoir le croisement des quelques
témoignages suivants, en suggérant que des motifs
extra-épistémologiques s’ajoutent au débat. F. Pire
conclut son exposé à propos du béhaviorisme par :
« L’idée
qu’une nature humaine gouverne nos conduites lui est
étrangère ou peut-être insupportable »
Ce serait sans
doute par trop renouer avec une vue chère à beaucoup de
philosophes… R. Zazzo lâche qu’un a priori du même
ordre orienterait de nombreux psychologues :
«On est
prêt à toutes sortes d’inventions pour que l’on ne sache
rien de ce qui est inné »
Une telle résistance
idéologique devant l’idée de la
constitutionnalité se comprend assez aisément – et aussi
bien trop - aisément. M. Reuchlin, au seuil de sa Psychologie
Différentielle nous en donne cette lecture :
« Accepter
de prendre pour objet d’étude des différences dont
certaines peuvent se révéler difficiles à modifier,
décider de n’écarter a priori aucune
hypothèse (et en particulier celle selon laquelle elles
peuvent relever en partie de l’hérédité)
paraît, aux yeux de certains, une attitude socialement suspecte et
propre à offrir une apparence de justification scientifique
à des systèmes sociaux fondés sur
l’inégalité des hommes. »
Notre intention
n’est pas de poursuivre sur ce terrain glissant,
mais justement de reconnaître que le
« débat », lui, pouvait glisser. Que les
questions posées par le mendélisme, de théoriques
qu’elles sont à l’origine, glissent insensiblement vers leur
compréhension ou leur interprétation idéologique.
C’est ainsi qu’on remarque avec F. Parot, « qu’il est significatif
que la psychologie différentielle (…) n’ait trouvé
aucune place dans le Traité de Psychologie
expérimentale de Fraisse et Piaget, qui servit de
référence en français dans la deuxième
moitié du Xxè siècle » ;
que, sans doute pour des raisons analogues, « certains
critiquent la méthode d’élaboration des types plus
fondées sur l’observation et l’étude clinique que sur le
calcul des corrélations »,
ouvrant ainsi la voie, toujours selon cet auteur, à une
« querelle d’école » entre les parti(e)s.
Délaissées
(iii) ainsi sur notre continent, ces études qui exploitent le
paradigme constitutionnel dans le champ dérivé de
l’analyse de la personnalité, survivent au sein du monde
anglo-saxon,
avant de reprendre une vigueur nouvelle dans les décennies
actuelles :
“80s
and 90s have witnessed a strong comeback for the concept of the broad,
dispositional traits, culminating in what many have argued as a
consensus around the Five Factor model of personality traits (Digman 90,
Goldberg 93, Mac Donald – this issue, Costa and Mc Crae 90)”
La question
émerge maintenant à nouveau :
« L’environnement
instruit—il le cerveau comme un sceau de bronze laisse son empreinte sur
un morceau de cire ou au contraire ne fait-il que stabiliser
sélectivement des combinaisons de neurones et de synapses au
fur et à mesure que celles-ci apparaissent spontanément au
cours du développement ? »
C’est bien au
« retour » de l’hypothèse innéistede
la constitutionnalité humaine auquel on assiste aujourd’hui. A
une hypothèse testée, semble-t-il, avec ce
succès qui permet à un psychologue de la
personnalité américain de soutenir qu’ « il est
maintenant largement reconnu que la personnalité et
l’intelligence se transmettent par héritage
génétique » [150]. Loin de rejeter pour autant le
paradigme environnementaliste, les chercheurs actuels reconnaissent la
nécessité d’une approche conjointe, comme en
témoigne cette présentation des objectifs poursuivis par
la revue américaine Personality And Individual Differences,
créée en 1999 :
« Personality And
Individual Differences is devoted to the publication of articles
(experimental, theoretical, review) which aim is to integrate as far as
possible the major factors of personality with empirical paradigms from
experimental, psychological, animal, clinical, educational,
criminological or industrial psychology or to seek an explanation for
the causes and major determinants of individual differences in concepts
derived from theses disciplines.
Editors are concerned with both
genetics and environmental causes, and they are particularly interested
in possible interactions effects. (…) All in all, the traditional type
of traits, abilities, attitudes, types and other latent structures
underlying consistencies in behaviour has in recent years been receiving
rather short schrift in traditional journals of personality ; Personality
And Individual Differences aims to reinstate it to its proper place
in psychology, equal in importance with general experimental works, and
interacting with it to make up a unitary science of psychology.”
Ainsi,
Le Senne pouvait dire : « il ne sert à rien
de condamner théoriquement la caractérologie si nous ne
pouvons vivre sans en faire » [151]. Nous serions tentés de nous
demander aujourd’hui si nous pourrons penser l’homme, sa
diversité de nature, sans en refaire…
[2] Nous soulignons, P. Ricoeur, Philosophie
de la Volonté I, Le Volontaire et l’Involontaire, Aubier,
1951, Ch..2, « la nécessité
vécue », p.336
[4] Ce
concept est un des concepts « clé » pour
une compréhension (de l’histoire du)
rapport philosophie / psychologie.
[5] Kant souligne ; in Critique de raison
pure, 2è Préface, P.U.F. coll. « Quadrige », 4è
éd. 1993, p.23
[6] Rappelons-nous que c’est bien à une
telle « physique de l’esprit » que pense Ricoeur.
[7] Ce « détour » par
l’examen de l’ « objection »
déterministe doit se justifier en ce qu’une telle
interprétation de la caractérologie peut être tenue
comme « représentative » d’une lecture
philosophique commune, et non pas réservée à
Ricoeur. R. Mucchielli nous le laisse penser : « les
spiritualistes opposent à la caractérologie un argument
métaphysique. Ils accusent la caractérologie de conduire
à un déterminisme psychologique dans lequel il n’y aurait
plus de place pour la ‘liberté’. » R.
Mucchielli, La caractérologie à l’âge
scientifique, op. cit., p. 8
[8] Pascal Engel, Philosophie et psychologie,
Gallimard 1993, p.10,
[9] De la même manière qu’un passage
à l’interprétation est nécessaire devant les
résultats de l’analyse statistique. Voir infra, (3.2)
[10] in Fluctuations sur la Liberté,
Regards sur le Monde Actuel, Œuvres, Pléiade, NRF Gallimard
p. 952
[11]
F. Parot et M. Richelle, Introduction à la psychologie,
P.U.F. 1992 (respectivement professeurs à Paris.V et à
l’université de Liège)
[12] Nous soulignons, (A. Vexliard, art. le
problème du déterminisme en psychologie, in l’Homme et
ses potentialités, Hommage à Roger Muchielli, ESF
1984, pp. 94 sq.)
F. Pire, op.cit. p.180 sq
[15] d’après
Gould, cité par F. Pire, Ibid.
[16] Les réflexions qui
précèdent pourraient encore s’appuyer sur une
transformation récente de la compréhension de la physique
par elle-même : « la science d’aujourd’hui
échappe au mythe newtonien parce’elle a conclu théoriquement
à l’impossibilité de réduire la nature à la
simplicité cachée d’une réalité régie
par des lois universelles ». C’est, pour en donner le
schéma, l’idéalisation des conditions initiales dans le
modèle newtonien (réversibilité implicite du temps)
qui peut être reconsidéré à l’aune de
processus instables, imprévisibles ou irréversibles. (Ilya
Prigogine, I. Stengers, La nouvelle alliance, Gallimard 1979,
édit. Folio Essais, 1993, p. 97) I. Prigogine, prix Nobel
1977, est physicien et théoricien des structures dissipatives.
[17] C’est ce qui s’accorde assez bien à un
problème qui peut n’être en son origine (hypothèse
analogique de Kant) qu’un problème analogique.
[18] Comme le proposerait Valéry:
« Le célèbre géomètre Abel,
traitant de tout autre chose, disait :’On doit donner au
problème une forme telle qu’on puisse le résoudre.’ C’est
cette forme qu’il faut chercher. Que si elle est introuvable, le
problème n’existe pas. ». (in Œuvres, op.cit., p.952)
Toutefois, par commodité, on
maintiendra, dans la partie suivante, en accord avec la terminologie
lesennienne, un usage (tempéré) des mots
« problème » et
« déterminisme ».
[19] Où la pensée doit se contenter
seulement de ce qui est probable et non certain (selon l’usage que fait
Aristote de ce terme)
[20] R. Lacroze, art. « Le psychologue
devant le problème de la liberté », in Actes du
IVè Congrès des Sociétés de Philosophie de
langue française, Neuchâtel, La Baconnière, 1949
[21] P. Ricoeur, op. cit..,
p.348
[22] Les citations qui suivent sont toutes
extraites Ricoeur, Philosophie de la volonté, op.
cit., p.336 à 350
[24] « Objection tirée contre
la caractérologie de la singularité individuelle » :
c’est ainsi que Le Senne, qui anticipait cette
« critique », intitule le paragraphe où il
y répond et dont nous extrayons les passages suivants.
[26] idiotes est le terme grec qui signifie
« le singulier »
[28] Soulignons qu’il ne s’agit plus ici de la
critique méthodologique (élaboration du
caractère comme objet « de science »), mais
d’une critique de la notion de caractère, de ce qu’elle
contient en terme de « négation » de la
liberté.
[29] Ricoeur, op.cit., p.337
[33] Ibid., p.342 ; cette
même formule est répétée p.348
[35] Ibid., nous soulignons
[37] pour reprendre les termes de Ricoeur
[38] Sur cette diffusion de la
caractérologie, par exemple : « La
caractérologie est à la mode ; elle déborde
maintenant le cercle des spécialistes et apparaît, sur la
demande du public, dans la grande presse, dans les hebdomadaires
à gros tirage, dans les revues les plus diverses, depuis les
revues médicales jusqu’aux revues de théologie ; on
l’applique à l’histoire des idées, à la critique
littéraire, à l’esthétique. »
(Mucchielli, op.cit., p.7 )
[39] P. Engel, Philosophie et psychologie, Gallimard
1996 , p.11
[40] R.Mucchielli, op.cit., p.8
[41] Robert Misrahi, La
problématique du sujet, Encre Marine, 1994
[42] C’était la question critique de Ricoeur
à l’endroit de la caractérologie ; on va voir que
c’était aussi, ou plutôt déjà celle de
Le Senne, qui y répondait par la caractérologie…
[43] En témoigne par exemple ce compte rendu
des conférences et débats présentés au
Collège International de Philosophie en 1989 publié
récemment sous le titre: La différence comme non
indifférence, Ethique et altérité chez E.
Lévinas, Kimé 1995
[44] Robert Misrahi, La problématique du
sujet, op.cit.,, Introduction. On y ajouterait avec l’auteur la
philosophie de Sartre, qui « n’est pas [non plus] une
philosophie du sujet », - ou celle de Heidegger, qui aurait
« sacrifié le sujet sur l’autel de l’Etre »
[45] Il semble assez audacieux de loger la
philosophie éthique de Lévinas dans cet ensemble ;
nous indiquerons comment comprendre ce geste.
[46] Selon « le
retour à l’ego cogito, domaine ultime et apodictiquement certain
sur lequel doit être fondée toute philosophie
véritable » ; Husserl,Méditations
cartésiennes, Vrin, 1992, trad. Lévinas et Peiffer,
p.43
[47] Sur cette
suspension de la donation d’autrui, par exemple : « En
philosophes qui méditent de façon radicale, nous ne
possédons à présent ni une science valable ni un
monde existant. (…) Ceci concerne aussi l’existence de tous les autres
« moi », dans la mesure où ils font partie
du monde environnant, si bien que nous n’avons plus le droit, au fond,
de parler au pluriel. » Husserl, Ibid.,
p.43
[48] Même si ce retour du sujet devait avant
tout être compris comme celui d’un sujet susceptible de (re)
constituer un terrain d’apodicticité pour les sciences,
resterait la question de savoir pourquoi Husserl prend la peine de
mentionner les problèmes de constitution de
l’inter-subjectivité…
[49] Jean Paul Sartre, L’Etre
et le Néant, Gallimard, 1943, p. 268
[51] N’est-ce pas d’ailleurs la voie que suivait le
« dernier Husserl » (celui d’Expérience
et Jugement ou de La Terre ne se meut pas), cette voie d’une
question en retour sur les « synthèses
passives », sur la pré-constitution du monde dans
selon une Ur-Doxa ?
[52] in La différence comme
non-indifférence, op.cit., article « l’autre dans
la phénoménologie de Husserl, chez Sartre et Emmanuel
Lévinas », p.60 sq.
[53] Ce doit être ce renversement ou
plutôt cette inversion dans ma relation à l’autre
qui doit pousser R. Misrahi à considérer la philosophie de
Lévinas comme n’étant pas une philosophie du sujet.
[54] Il propose le découpage
schématique historique suivant :
« 1930-1960 : marxisme, existentialisme, personnalisme
(…), [sont les] trois visions de l’homme qui se partagent la
scène philosophique (…) ; 1960-1980 :
« critique du sujet » (Foucault, Deleuze,
psychanalyse lacanienne) (…) » Gérard Lurol, Emmanuel
Mounier, Génèse de la personne, l’Harmattan 1999, p.
66 sq
[55] Ibid.; peut-être
peut-on y lire le travail de déconstruction que propose
Derrida ?
[56] Sartre, Ibid., p. 431
[57] Robert Misrahi, Lumière,
commencement, liberté, Fondements pour une philosophie du sujet
et pour une éthique de la joie, Plon, 1969,
réédition Seuil, coll. « Point
Essais », 1996, p. 328
[58] « Aucun homme n’est un monde
fermé ou isolé : chacun de nous vit en connexion
nécessaire avec les autres et l’on peut même dire,
directement ou indirectement, avec tous les autres. » (TC, p.541) ; citons en outre cette belle remarque de
G. Thibon : « Une multiplicité innombrable de
rapports nous tissent les uns avec les autres ; et nul ne peut
marquer le point ou la frontière où il cesserait
d’être lui-même pour se changer en autrui. » G.
Thibon, La science du caractère, Desclée de
Brouwer, 1933, p.XXX
[59] C’est le cas de la plupart des philosophies
morales ou éthiques ; celles de Jankélévitch
ou de Misrahi pour celles qui nous sont les plus proches.
[65] La présentation des
propriétés, leur définition, leurs
caractéristiques essentielles ainsi que les principales
corrélations qui font leur signalement dans le Traité
fait l’objet de l’Annexe 2
[66] René Le Senne, Avt propos au Traité
Pratique d’Analyse du Caractère de Gaston Berger, P.U.F.
1950, p.11
[71] … «[son siège serait] le
diencéphale, depuis le plancher du troisième ventricule
jusqu’à la glande hypophyse » G. Torris, l’Acte médical et le
caractère du malade, P.U.F., coll.
« Caractères », 1954
[73] TC, p.87 (description
détaillée)
[74] Le neuropsychiatre H. Amoroso suggère
ce « parcours » de l’énergie
émotive qui devient information :
« …l’émotivité est, avant d’accéder
à la corticalité qui effectue un tri, un
phénomène neurophysiologique simple où
l’hypothalamus participe aux premières réactions
sympathico-adrénergiques (…) » (Science et
libre-arbitre, Aubier Editeur, 1995)
[75] Ce problème prolonge celui que nous
avons rencontré dans notre analyse du déterminisme
(signification du déterminant) en (2.1.2)
[76] Citons par exemple : Ebstein et al.,
1998 : Dopamine D4 transporter gene and serotonine transporter
promoter in the determination of neonatal temperament, ou Additional evidence for
an association between dopamine D4 receptor gene and human personality
trait of novelty seeking, in Molecular Psychiatry, 2, 1997, pp.
472-477; ou Eley and Plomin, Genetic analyses of emotionalitty, in
Current opinion in Neurobiology, 7, 1997, pp. 279-284.
[78] Celui de la « loi de
Fechner-Weber » dont on connaît la formule :
« la sensation croît comme le logarithme de
l’excitation », ou d’un Ribot, pour qui « à
tout état psychique est invariablement associé un
état des nerfs » (cité par F. Parot, Introduction
à la psychologie, op.cit. )
[79] Ce en quoi ce
« parallélisme » est assez mal nommé
par les tenants du « psychologisme »
(Husserl) : ce terme indique bien que les domaines de la
signification et du physiologique doivent être
co-développés chacun selon sa spécificité.
[81] RLS, Avt propos au TPAC, op. cit.,
p.11
[82] Cette question nous amènerait à
nous demander encore si des systèmes reposant sur des
découpages différents peuvent faire l’objet d’analyses de congruence
entre eux – mais elle sort du cadre de notre travail, et de celui de nos
compétences…
[83] Recueillons toutefois ces deux
témoignages : « La classification de Heymans et
Wiersma lui paraissait être ‘la plus parfaite qui soit,
véritable système naturel des diversités
psychiques’ » (J. Bourjade, Principes de
caractérologie, La Baconnière, 1955,
Introduction) ; et celui de R. Mucchielli : « on
doit reconnaître que la typologie de Heymans et Wiersma se
vérifie dans les faits. (…) Ses descriptions des
caractères [ celles de Le Senne] sont d’un réalisme et
d’une vérité que la plus minime expérience fait
constater » (R. Mucchielli, Caractères et visages,
P.U.F., 1954)
[84] Nous ne citons qu’un seul passage indiquant
ces recoupements ; Le Senne en donne une
liste très riche dans sa présentation de chaque
propriété
RLS, Avt propos au TPAC, op. cit.,
p.11
[86] A moins que ce ne soit celle de Heymans
« dont on vérifie la valeur » etc …
[88] Nous soulignons, TC, p.75
[89] Pour parler avec Bergson (Le Senne est
considéré comme son disciple)
[90] Sous ce rapport, on comprendra que ce sont les
émotifs-inactifs (nerveux et sentimentaux) qui s’opposeront de la
manière la plus sensible aux inémotifs-actifs (sanguins et
flegmatiques).
[93] TC, p.29. On
pourrait d’ailleurs proposer que la compréhension d’un tel
modèle explicatif réclame une attitude similaire à
celle du phénoménologue : une suspension de la thèse
de réalité des propriétés (et des caractères),
- et surtout celle des jugements de valeur consécutifs à
la position de cette réalité.
[94] Nous ne saurions rendre vraiment sensible avec
les quelques allusions qui suivent la richesse des modalités de
différenciation des caractères ; c’est
l’intégralité du corps de la caractérologie
spéciale qu’il faudrait reprendre.
Les deux
passages essentiels commentés ici sont rendus dans leur
quasi-intégralité dans l’ Annexe 3
[95] Ne sont pas considérés dans ces
analyses ces deux « oubliés » que sont
amorphes et apathiques. Il est facile de comprendre que chez ces caractères
« s’effacent » aussi les caractéristiques
qui permettent de dramatiser les démarcations
caractérologiques considérées ici. Lorque
nous parlerons des « inactifs »
d’ « inémotifs », il s’agira pour
cette raison aussi respectivement d’émotifs et d’actifs.
[96] Le Senne ajoute encore, concernant cette
première démarcation : « Ces distinctions
au reste ne valent qu’en moyenne, car non seulement la
réalité individuelle des caractères, mais
aussi les conditions des destinées personnelles doivent en fait
troubler et nuancer ces vues sommaires, uniquement valables sur le plan
d’une extrême généralité. » TC, p.291
[99] nous soulignons, TC,
p.416
[102] La définition qu’en donne Le Senne est
la suivante : « on trouve en effet chez tous les hommes,
à des degrés différents, à côté
des sentiments qui entraînent ceux qui les éprouvent vers
des affirmations, des biens, des réalités positives,
d’autres sentiments dont la fin est négative, comme la
destruction, la dégradation, le discrédit, la haine, des
sentiments qui se proposent l’anéantissement, partiel ou total,
de quelque chose ou de quelqu’un. » TC, p.
293
[103] Les citations qui suivent sont extraites de TC pp. 293 à 299
[104] A. Vexliard, art. le problème du
déterminisme en psychologie, op.cit.
[105] Jean Château, Malaise dans la
psychologie, Flammarion, 1972
[106] Ces quelques éléments d’histoire
sont empruntés à Reuchlin dans son Histoire de la
psychologie, Que sais-je, P.U.F. 1999.
[107] Et par la même occasion à
« soustraire les sciences de l’homme à l’empire de la
métaphysique » selon la formule de Ribot, citée par
F.Parot,
op.cit.
[108] Le fondateur du Béhaviorisme en 1913
(qui s’inspire des études de Pavlov sur le réflexe
conditionné animal) connaît
des successeurs nombreux jusqu’à aujourd’hui ; citons Loeb,
E.C Tolman, C.L. Hull, et notre contemporain B.F. Skinner
[109] De la psychologie différentielle en
particulier.
[111] S. Clapier-Valladon, professeur de psychologie
à l’Université de Nice nous rappelle :
« Entre les deux guerres avec Politzer, E. Mounier, D de
Rougemont, le personnalisme lutte contre la dépersonnalisation
qui envahit même la psychologie (…) » S.
Clapier-Valladon , Les théories de la personnalité,
op.cit., p. 109
[112] « Binet et Piéron ont
constitué la psychologie expérimentale, dont ce qui la
caractérise le mieux est l’éclectisme tant combattu par
Ribot (…) » (F.Parot, Introduction à la psychologie,op.cit.)
[113] « Que de nombres, de mesures, de
graphiques, d’expressions pseudo-mathématiques ont
été entassées par la psychologie
expérimentale depuis cinquante ans ! Qu’en est-il
resté comme savoir définitif ? » RLS,
Avt propos au TPAC, op. cit., p.11
[114] Rappelons que le béhaviorisme prend
pour « modèle » le comportement animal…
[117] TC, p.540 ; nous livrons
l’intégralité du passage
correspondant en Annexe 3. bis
[118] Reuchlin, Qs-je Hist. Psych 1999,
introduction, p.7 ; à cette question il répondra avec
prudence : « Peut-être n’est-ce pas dans une
réaction contre la diversification des problèmes et des
méthodes qu’il faut tenter de trouver la voie. Peut-être au
contraire faut-il aller aussi loin que possible dans cette
diversification, de façon à voir se dégager, dans
chaque domaine, les problèmes fondamentaux et les formes de
pensée les mieux adaptés à leur
résolution. » (pp.123-124) ; dans
ce sens, il semble qu’une revue comme Personality And Individual
Differences cherche cette vue panoramique (orientée-sujet) sur
l’évolution des différents domaines de la psychologie.
[119] On peut recenser les :
« Béhaviorisme physiologique de Watson,
neurophysiologique de Meyer, bio-sociologique de Parmelee, molaire de
Tolman, pragmatico-philosophique de Ryle, dynamique de Holt,
psycho-biologique de Dunlop, heuristique de Mac Dougall,
méthodologique de Yerkes ; enfin, le conditionnement
opérant instrumental de Skinner (opposé à celui,
classique ou « répondant » de
Pavlov) » (art. « le déterminisme franc et
dur », in Hommage à R.M., op.cit)
[120] La vie est un roman : skinnerien
(mais le jeu de mot , lui, en dit beaucoup…) M. Kail et F. Parot art. in
collectif La fabrique, la figure et la feinte, collection Sciences
en situation, Vrin, 1992
[121] F..Parot, Intro à la psychologie,op.cit.
[123] Ce qu’avait fait la contre-réaction des
psychologues humanistes américains (Allport, Maslow, Rogers…).
Selon le mot de G. Allport, « la
psychologie n’est vraiment elle-même que quand elle traite de
l’individualité. Il est vain d’invoquer que d’autres sciences ne
le font pas. La tâche assignée
à la psychologie est d’être curieuse des personnes
humaines, (…) structures complètes et uniques »
(Gordon Allport, Structure et développement de la
personnalité, Delachaux, 1970, cité par
Clapier-Valadon, op. cit., Ch. 7)
[124] F..Parot, Intro à la psychologie,op.cit.
[125] S. Clapier-Valladon , Les théories
de la personnalité, op.cit.
[126] Ce qui permettrait d’y entendre une tendance
commune à la psychanalyse, à la sociologie, comme à
l’existentialisme.
[129] Il ne s’agit en réalité que
d’une « deuxième naissance » d’ordre
scientifique ; Démocrite,
à qui l’on doit la formule qui suit, précède
biensûr Mendel pour former la conviction que « le
caractère d’un homme fait son destin » (Ethos
anthropo daimon)
[130] La transmission héréditaire de
« caractères » génétiques fut
l’objet des expériences de Mendel sur des petits pois dans les
années 1865 ; ses
expériences furent reprises et plus largement diffusées au
tournant du siècle par De
Vries ; voir en Annexe 4 l’article de la revue Pour la Science.
[131] Maurice Reuchlin inLa
Psychologie différentielle, op. cit. p. 24
[132] « Ce caractère est solide et permanent :
il assure à travers le temps l’identité structurelle de
l’individu. Il crible les influences que celui-ci subit et, au cours des
transformations de la vie mentale, il constitue le fond, le tuf dur, qui
n’évolue pas, mais conditionne l’évolution
psychologique. » (TC, p.10)
[133] « tout ce qui dans l’individu
provient de son histoire (…) comme l’éducation, les enseignements
de l’expérience, (…) (ns) » TC., p.9
[134] René Zazzo, art. in Hommage
à R. Mucchielli, op.cit.
[135] M. Boll, art. « La science des
caractères dans ses relations avec la méthode
scientifique », in rev. Actualités scientifiques
et industrielles, n°371, 1936 :
[136] René Zazzo, art. in Hommage
à R. Mucchielli, op.cit.
[138] R. Mucchielli pense lui aussi que
« parmi les potentialités [du caractère] on
doit relever le pouvoir de créer ou de rechercher un milieu
favorable à l’épanouissement de l’individu »
(RM, texte de 1961 in Hommage, op.cit.)
[139] Nous aborderons en conclusion quelques
caractéristiques de ce perspectivisme constitutionnel ou
caractérologique.
[140] Nous soulignons, F.
Pire, op.cit.
[142] Maurice Reuchlin inLa
Psychologie différentielle, op. cit. p. 6
[143] Un seul mot : un tel
« système social fondé sur
l’inégalité des hommes » pourrait aussi se
donner pour mission de les compenser…
[144] F. Parot et M. Richelle, Introduction
à la psychologie, op.cit.
[145] Simone Clapier-Valladon, op.cit.
[146] Avec les travaux de H.J. Eysenck
[147] Traduction : « Les
années 80 et 90 ont montré un retour saisissant de la
théorie dispositionnelle, culminant dans un consensus autour du
modèle ‘Five Factor’ (modèle OCEAN) » , Mac Adams, D.P., “What do we know when we know
a person ? ” Journal
of Personality, vol. 63, pp. 365-396
[149] Le même auteur, en envisageant cette
« fatalité apparente de l’ADN » nous
dit : « dès que l’œuf est fécondé,
toutes les conditions sont réunies pour qu’un créneau
cérébral soit réservé à
l’auto-culpabilité, l’auto-indignation,
l’auto-dépréciation (…) », Ibid.
[150] Ainsi introduit-il son article:
« It is now widely recognized that personality and
intelligence are heritable », Nathan Brody, Wesleyan
University, Journal of Personality and Social Psychology 1997, vol.
73, n°6, pp. 1243-1245; (nous livrons en Annexe 4.bis les
résultats mentionnés par cet article, qui
établissent cette
« héritabilité » du QI à
différents niveaux)